Processus de résistance des
immigrés érythréen et soudanais en Israël.
Par Elodie Francart
Cet article a été diffusé
dans La Revue Nouvelle du mois de juin/juillet 2014
Étudiante en dernière année d’un master
en relations internationales à l’ULB, Elodie Francart a passé 6 mois en Israël
dans le cadre d’un stage. Elle fut, dans un premier temps, responsable de la
communauté soudanaise à Tel Aviv et à Arad pour Amnesty International Israël,
puis s’engagea de manière indépendante au sein des centres communautaires
africains existants.
Fin
2013, début 2014, le premier mouvement de réfugiés
africains en Israël a pris forme. Une corrélation d’événements a poussé ces
immigrés politiques à prendre la rue. Le plus marquant de ces événements étant sans aucun doute la
modification législative, dans le courant du mois de septembre 2013, concernant
leur prise en charge par l’Etat Israélien. Suite à la décision de la Haute Cour
Israélienne de supprimer l’amendement n°4 de la loi anti-infiltration, qui
stipulait que toute personne entrée illégalement sur le territoire était
susceptible d’être détenue en centre fermé pour une durée de 3 ans, le
gouvernement a adopté un nouvel
amendement autorisant dorénavant les autorités d’incarcérer les immigrés pour
une durée indéterminée dans un centre qu’ils appellent « ouvert »,
mais qui ne l’est nullement. Nous parcourrons ici les différentes étapes du
processus de résistance des réfugiés soudanais et érythréens depuis leur
arrivée en terre israélienne jusqu’aux événements de ces derniers mois.
Nous sommes aux alentours de 2006 et
l’Etat israélien fait face aux premières arrivées massives de demandeurs
d’asile en provenance d’Erythrée et du Soudan. Alors que bon nombre d’entre eux
espéraient trouver en terre sainte la protection qu’ils recherchaient, voici
que le rêve israélien à son tour s’écroule : le gouvernement n’est pas
prêt à accueillir ces immigrants et regorge d’imagination pour les convaincre
de retourner d’où ils viennent, tant par le refus systématique de leur accorder
le statut de réfugié[1], que par leur
détention arbitraire pour une durée de 3 ans dès leur arrivée en Israël.
Plus récemment, en 2012, l’Etat d’Israël
décide d’étendre le champ d’application de la loi anti-infiltration[2] aux immigrés
illégaux, officialisant ainsi la possibilité qu’a le gouvernement de détenir
pour une durée de 3 ans toute personne entrée illégalement sur son territoire.
Ce changement législatif entraine avec lui un changement radical pour les
immigrants africains : il est dorénavant légal et conforme au droit
israélien qu’ils puissent être détenus en centre fermé lors de leur entrée sur
le territoire.
En septembre 2013, après des mois de
combat entre les organisations de défense des réfugiés (et de manière plus
générale, des Droits de l’Homme) et les politiques israéliens, la Haute Cour
Israélienne déclare à l’unanimité que l’amendement n°4 de la loi
anti-infiltration est contraire à tous les principes de respect de la dignité
humaine. La Haute Cour somme alors le gouvernement de prendre d’autres mesures,
conformes aux conventions auxquelles Israël s’est engagé. En décembre 2013, l’amendement
supprimé quelques mois auparavant est
remplacé. Alors que la Haute Cour Israélienne avait insisté sur l’aspect plus
humain que devait contenir ce nouvel amendement, le gouvernement de Benjamin
Netanyahou profite de cette occasion pour alourdir le poids de la loi sur les
migrants. Effectivement, la nouvelle règle postule que toute personne entrée
illégalement sur le territoire israélien pourra dorénavant être détenue pour
une durée indéterminée dans un centre qu’ils appelleront « ouvert »,
mais qui, comme nous le verrons, n’a, une fois de plus, d’ouvert que le nom.
Construit le temps de l’adoption du
nouvel amendement, le centre en question, dénommé Holot, se situe dans le désert du Néguev, à la frontière
égyptienne, en zone militaire. Conçu, à l’origine, pour pouvoir accueillir
(détenir ?) trois mille trois-cent personnes, il en contient maintenant
cinq mille, après avoir été agrandi dans le courant du mois de février, et
devrait encore être agrandi dans les semaines qui viennent pour atteindre une
capacité de onze mille personnes.
Il est dit « ouvert » car les
réfugiés sont autorisés à en sortir entre les différents appels auxquels ils
doivent se présenter, à savoir trois fois par jour : à 8h, 12h et 20h. Si
les détenus manquent un appel, ils se verront sanctionner de différentes
manières, allant du refus de leur remettre les 160 shekels[3] / semaine qui leur
sont dû, à l’envoi en centre fermé pour une durée de quinze jours minimum.
Processus
de résistance
Il faut pouvoir faire la distinction
entre les processus de résistance mis en place avant l’adoption du nouvel
amendement, et ceux développés après la mise en application de celui-ci.
Avant décembre 2013, c’est-à-dire, avant
la mise en place du nouvel amendement, l’organisation des communautés de
réfugiés se structurait autour d’une résistance qui permettait la survie de ces
communautés au sein de la société israélienne, tout en étant relativement
déconnectées de celle-ci. Les communautés, qui s’efforçaient de rester
discrètes, s’organisaient entre-elles au travers de mécanismes d’entraide et de
préservation de certains aspects traditionnels et culturels de leurs origines.
Nous pouvons supposer que ces solidarités intra-communautaires se soient
développées grâce aux centres érythréens et soudanais, mis en place au fil du
temps. Ces centres, à l’économie fragile et basés sur un système de donation de
la part de leurs membres, furent un premier pas vers une intégration au sein de
la communauté israélienne, notamment grâce aux différents cours d’hébreu et
d’anglais qui y étaient donnés. Mais pas seulement. Un ensemble des bénévoles
israéliens s’y rendant fréquemment pour partager leurs connaissances dans de
nombreux domaines, cela engendra une certaine compréhension des enjeux qui se jouaient
pour ces communautés auprès d’une branche de la population israélienne.
Ces centres devinrent rapidement le point
de référence pour les immigrés, tant dans l’obtention d’informations
indispensables au sujet des différents services auxquels ils pouvaient avoir
accès sur les plans légal, médical, ou dans le domaine du travail, que pour
souder les communautés et créer un lien social solide et communicatif.
Alors que les processus de résistance mis
en place jusque là par les communautés africaines en Israël étaient
principalement tournés vers une solidarité interne, le vote du nouvel
amendemant donna jour à des processus dirigés vers l’extérieur, vers la société
civile israélienne et ses politiciens,
afin de sensibiliser les citoyens et leurs dirigeants au sujet des conditions
de vie des « infiltrateurs[4] », et de l’effet
néfaste qu’aura pour eux le nouvel amendement. Le point de départ de cette mobilisation fût la
« Marche pour la liberté » qui rassembla, à la mi-janvier, pas moins
de 150 réfugiés détenus jusqu’alors dans le centre fermé
de Saharonim, lui aussi situé dans le désert du Néguev, et qui furent les
premiers à être transférés dans le nouveau centre de détention
« ouvert ». Ces détenus ont marché pendant trois jours, depuis le
centre fermé jusque Jérusalem, pour protester au-devant du Knesset et du bureau
du premier ministre Benjamin Netanyahou. Même si cette marche fut soldée par un
échec – l’arrestation violente de tous les marcheurs – elle fut le premier
souffle pour une mobilisation qui ne fera que prendre de l’ampleur dans les
semaines qui suivront.
Les
facteurs non exhaustifs permettant d’expliquer la naissance du mouvement
contestaire.
Les
centres
On a pu constater que les rôles des
centres communautaires étaient multiples, mais leur importance s’affirma
d’emblée dès le début des mobilisations. Ils ont été depuis le début les foyers
de la résistance, mais trouvèrent un sens nouveau quand il s’agissait
d’organiser les communautés autour d’un même combat. Ils ont été le point de
liaison entre tous les leaders, mais ont aussi servi de relais entre les
leaders et les diverses strates des populations immigrantes, allant des
familles aux groupes dispersés dans les autres villes d’Israël.
La
formation des leaders
Ces plateformes de solidarité ont
permis l’émergence de leaders au sein des communautés et leur ont donné la
possibilité d’asseoir une notoriété incontestable au sein des populations
immigrées. Ces leaders sont apparus lors de la gestion des différents centres,
planifiant les activités multiples au sein des communautés dont ils ont joué le
rôle de représentants, malgré les identités distinctes que celles-ci
comprenaient.
En coopération avec les organisations,
ils ont pu mettre en place différents cours qui leur ont permis de mieux se structurer,
de mieux comprendre leur propre communauté et d’avoir une connaissance
culturelle et légale du milieu dans lequel ils évoluaient. En passant par des
cours de leadership, de relations internationales, de l’histoire d’Israël ou
encore d’activisme politique, on a pu voir une autonomisation de ceux-ci dans
les projets qu’ils voulaient mener et une meilleure organisation des
communautés.
Le facteur fondamental ici est qu’après
ces années de formation autonome, les leaders étaient prêts et capables de mobiliser
les leurs autour d’un projet d’émancipation et de revendication commun.
Les
connexions existantes avec les différentes organisations
Le mouvement n’aurait pas pu se
développer comme il l’a fait sans le soutien et le support des différentes
organisations israéliennes qui les encadraient et qui servaient de relais avec
les institutions policières mais également avec les institutions
internationales telle que l’UNHCR. C’est à nouveau grâce aux différents centres
que ces relations ont pu se construire et se développer, au point tel qu’elles
jouèrent un rôle crucial dans l’organisation des contestations.
Le
mouvement, en quelques mots
Les communautés de réfugiés ont pris conscience de
l’importance d’une mobilisation lors des premières arrestations massives qui
eurent lieu à Tel Aviv dans le courant du mois de janvier 2014, tant au moment
de la « marche pour la liberté, qu’après celle-ci, lorsque la police de
l’immigration commença à arrêter de manière plus ponctuelle les réfugiés dans
les différentes villes du pays.
Suite aux premiers départs pour le centre de
détention, les leaders se sont organisés afin de fixer les objectifs qu’ils
voulaient atteindre et les moyens qu’ils se donnaient pour y parvenir.
L’important, dans un premier temps, était de mobiliser l’ensemble des
communautés autour d’un même combat, de les convaincre qu’il était absolument
nécessaire de clamer leurs opinions, aux oreilles de tous, les jours suivant.
Quelques manifestations nocturnes ont alors été
organisées afin de protéger l'anonymat des protestataires des services de
police, qui n’ont pas fait preuve d’une grande résistance les premiers jours.
Suite à l’ampleur que prenait le mouvement, les autorités se sont montrées plus
réticentes au point de refuser systématiquement les demandes des immigrés.
Après de nombreuses discussions et dissensions, les leaders se sont mis
d’accord pour lancer une grève générale de trois jours avec, comme but
principal, de toucher les populations au travers d’un ralentissement effectif
des services de restauration et d’hôtellerie, qui sont les domaines dans
lesquels les immigrés sont les plus employés. Résultat : une mobilisation
gigantesque, d’une ampleur jusqu’alors jamais atteinte, rassemblant près de
trente-cinq mille personnes, sur une population de cinquante-cinq mille
immigrés.
Il ne fallut que deux mois pour que le mouvement
s’affaiblisse, au point d’en arriver à un presque point mort. L’intervention
extérieure par des activistes nationaux et internationaux durant les réunions à
huis clos des leaders, les attaques constantes de la part du gouvernement et de
certains médias contre le mouvement, les problèmes de financement de la
mobilisation, etc. sont autant de facteurs qui entrainèrent la chute de la
courte épopée. Les communautés sont aujourd’hui fortement divisées, peu
confiantes quant à leur futur, proche ou lointain.
Sans revenir sur toutes les étapes de la
mobilisation, il est primordial cependant de souligner l’impact de celle-ci
auprès de la population israélienne : certains restaurateurs ou hôteliers
lançant une action de soutien aux populations immigrées; certaines chaines de
télévision conviant des leaders afin de leur donner la parole et d’exprimer
leurs revendications; des fonds récoltés pour permettre de financer les voyages
depuis Tel Aviv jusqu’au centre « ouvert » à raison d’une fois par
semaine,...
Il s’agit là peut-être de bien petites victoires au
vu de l’ampleur de la mobilisation, mais il est pourtant indéniable que c’est
déjà un fameux pas que d’avoir pu mobiliser et sensibiliser l’opinion public
israélien.
Il ne reste cependant que peu d’espoir pour ces
immigrés venus demander l’asile en Israël. Les choix ne se limitent dès lors
plus qu’au retour dans leur pays d’origine, ou à la vie dans un centre au
milieu du désert pour une durée jusqu’ici inconnue.
[1] [1]
Israël a le plus faible taux de reconnaissance du statut de réfugié parmi les
Etats de l’OCDE.
[2] [2]
Loi établie en 1954 initialement pour lutter contre le retour des réfugiés
palestiniens et les attaques des fedayin palestinien. Son champ d’application a
été étendu aux cas des immigrants illégaux en janvier 2012.
[4]
Le terme « infiltrateur » est utilisé dans le langage politique et
médiatique israélien, désignant toute personne entrée sur le territoire
israélien de manière illégale, et tirant ses sources de la loi
anti-infiltration de 1954.
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