vendredi 28 août 2015

La partecipazione politica dei migranti. Dall’esclusione alle diverse forme di mobilitazione. (Marta Lotto)


 La partecipazione politica dei migranti.Dall’esclusione alle diverse forme di mobilitazione 

Par Marta Lotto



Suite à des soucis techniques nous sommes dans l'incapacité de publier cet article sur notre blog, mais nous incitons bien entendu à le lire dans sa forme originale



Référence originale de l'article: LOTTO, Marta. La partecipazione politica dei migranti. Dall’esclusione alle diverse forme di mobilitazione. SocietàMutamentoPolitica, [S.l.], p. 255-272, 2015. ISSN 2038-3150. doi:10.13128/SMP-16410.


mercredi 26 août 2015

La Gauche, un rempart pour les migrants ? (Grégory Mauzé)

La Gauche, un rempart pour les migrants ?

Par Gregory Mauzé
texte diffusé sur le site de l'Association Culturelle Joseph Jacquemotte (ACJJ)


L’émergence de l’immigration dans le débat politique a durablement marqué le clivage partisan et constitue jusqu’à aujourd’hui une pomme de discorde tenace entre conservateurs et progressistes. Si les partis de Gauche se sont tous peu ou prou ralliés à la défense des personnes migrantes, leurs évolutions particulières ont parfois modifié de façon significative leur rapport à ces dernières.


Sujet de société sensible s’il en est, l’immigration divise la Gauche. Généralement endossé, au nom de l’unité ouvrière ou comme symbole du rapport aux plus précaires, le combat pour les droits des sans-papiers et demandeurs d’asile n’a pas toujours fait l’unanimité chez les progressistes. Dans un contexte de mondialisation et de crise économique, la crainte inspirée par les migrants a parfois suscité des réactions de rejet chez les travailleurs nationaux. Les partis ouvriers n’ont pas toujours pu ou voulu y offrir de réponse universaliste fondée sur l’intégration et l’extension des droits. Cette hostilité croissante dans les pays occidentaux[1] a ainsi conduit de nombreux gouvernements à participation social-démocrate ou écologiste à accompagner une gestion restrictive et sécuritaire des questions migratoires. Moins confrontée à la perspective d’exercer le pouvoir, la gauche radicale n’est pas pour autant vaccinée une fois pour toutes contre les dérives démagogiques[2].

La montée en puissance des discours populistes de droite a ainsi généré chez la Gauche trois types de réponses, qui peuvent se côtoyer dans des proportions variables : a) la confrontation, qui vise à opposer au discours xénophobe une attitude de défense des migrants fondée sur des valeurs ; b) l’évitement, qui consiste à éluder les thématiques sensibles liées à l’immigration, sans toutefois adopter une plate-forme programmatique hostile aux migrants ; c) le suivisme, selon lequel la Gauche, emboitant le pas à la Droite, adopte un discours et/ou met en place des politiques hostiles aux nouveaux arrivants. En contribuant à légitimer le discours xénophobe, cette dernière stratégie renforce le consensus autour d’une gestion sécuritaire des flux comme unique horizon possible[3].

Il s’agira ici d’analyser le rapport qu’entretiennent avec l’immigration trois familles politiques se réclamant de la Gauche en Belgique francophone, et qui présentent chacune l’intérêt d’occuper une position spécifique par rapport au pouvoir : la social-démocratie incarnée par le Parti socialiste, actuellement à la tête d’une coalition qui gère cette question d’une façon particulièrement intransigeante. L’écologie politique représentée par Ecolo, leader de l’opposition parlementaire francophone au niveau national. Enfin, la Gauche radicale que l’absence de l’arène parlementaire cantonne surtout à l’action sur le terrain.

Parti socialiste : de la confrontation…


La thématique migratoire s’impose comme enjeu politique à partir des années 1970. Parfois perçus comme les pions de la stratégie patronale de moins-disant salarial, les migrants sont progressivement associés à la figure du prolétaire à mesure qu’ils se sédentarisent. Premier parti ouvrier, le PS se montre réceptif aux revendications, relayées par le monde syndical et associatif[4], pour une amélioration de leur condition et de leurs droits politiques. La décennie 1980 fut marquée par les performances électorales réalisées par l’extrême droite grâce à une rhétorique anti-immigré. Alors que les partis situés à la droite de l’échiquier politique[5] cédaient à la tentation xénophobe, le PS, conserva un programme et un discours favorable aux migrants, non sans susciter quelques remous internes. À Bruxelles, ville particulièrement concernée par l’immigration, la question du droit de vote des étrangers aux élections locales s’est révélée particulièrement clivante, et a suscité l’opposition parfois virulente de militants et de ténors locaux[6].

Si ce positionnement s’est révélé payant a posteriori, nombre d’étrangers naturalisés ou bénéficiant du droit de vote s’étant tournés vers le PS, la perspective d'un nouveau réservoir de voix n'a vraisemblablement pas été déterminantes dans son choix. Il semble au contraire que l’électoralisme se soit trouvé du côté des opposants à l’octroi de nouveaux droits pour les étrangers, inquiets qu’ils étaient de voir s’éroder leur électorat ouvrier traditionnel[7]. « Il y avait une réelle volonté de défendre les catégories précaires que constituent les migrants, et un souci de rester fidèles à nos valeurs de solidarité », se souvient la députée bruxelloise Sfia Bouarfa.

Bien que la crainte que l’évocation des questions migratoires ne gonfle les scores d’une extrême droite en progression constante ait concerné l’ensemble du spectre partisan durant les années 1990, les prises de position du PS émises durant cette période s’inscrivent résolument dans le paradigme de la confrontation[8]. Le refus du parti de désinvestir la question, conjugué à une baisse des crispations identitaires dans l’opinion publique et à l’assouplissement de la position des libéraux permirent au Parti socialiste d’obtenir une série d’avancées : le droit de vote des étrangers en 1998 sous le gouvernement Dehaene, ou encore la facilitation de l’accès à la nationalité et la grande vague de régularisation de 2000, obtenus sous le gouvernement Verhofstadt I, notamment grâce aux impulsions données par les partenaires écologistes (v.infra).

À mesure que les formations de droite se radicalisaient, les gouvernements suivants se sont orientés vers une gestion essentiellement répressive de l’immigration, de plus en plus contradictoire avec le programme du PS. En dépit de ce décalage, on notera une certaine constance dans le discours du parti, qui n’hésite pas à affronter ouvertement les ministres chargés d’appliquer les accords de gouvernement sur l’asile et l’immigration[9]. Même impliqué de plain-pied dans des politiques rétrogrades, le PS reste, formellement, dans le paradigme de la confrontation.

… au silence complice.

La législature entamée à la suite des élections de juin 2010 marque une nette rupture. Bien qu’arrivée en tête, la famille socialiste doit faire face à un âpre round de négociations avec des formations de droites : dans la plupart des domaines, il n’est désormais plus question de nouvelles conquêtes, mais de sauver les meubles. Dans un contexte d’« Europe forteresse » et d’une opinion publique de plus en plus hostile aux étrangers[10], l’asile et l’immigration sont condamnés à être, pour le PS, les parents pauvres de l’accord de gouvernement. Son président Elio Di Rupo, qui prend la tête de la coalition socialiste-libérale-démocrate chrétienne est ainsi amené à appliquer une politique dont les accents essentiellement répressifs tranchent avec le programme avec lequel le PS s’était présenté devant les électeurs[11].

L’évolution la plus notable est sans doute le silence avec lequel les membres socialistes du gouvernement ont accompagné la « guerre aux migrants » menée par la nouvelle secrétaire d’État à l’Asile et à l’Immigration Maggie De Block (Open Vld, libéraux flamands). Les mesures prises à l’encontre des sans-papiers et demandeurs d’asile, qui firent l’objet de fréquentes passes d’armes lors de précédentes coalitions, ne suscitent désormais que peu de réactions publiques chez les socialistes. Fait inédit, certains de ses éminents membres[12] sont allés jusqu’à féliciter la secrétaire d’État pour sa gestion de l’asile, légitimant par là son credo de « fermeté et d’humanité », contradiction dans les termes tant décriée par les associations[13]. Les interpellations parlementaires sur l’excès de zèle du gouvernement sur cette question se font quant à elles beaucoup plus rares que par le passé.

Si l’ampleur prise par l’épreuve de force engagée par le mouvement des demandeurs d’asile afghans[14] a permis d’exacerber le malaise au point d’inscrire cette question à l’agenda gouvernemental, les évolutions sur ce dossier se font toujours attendre. Face aux critiques, le parti, qui dit partager les préoccupations des afghans, évoque ses efforts pour infléchir sur une base plus progressiste la politique migratoire actuellement menée, qu’une confrontation directe sur ce sujet pourrait réduire à néant. « L’hypermédiatisation de tels sujets n’a jamais permis d’obtenir une issue favorable aux individus concernés », répond ainsi le président du Parti socialiste Paul Magnette au courrier d’une citoyenne inquiète de la multiplication des expulsions vers l’Afghanistan[15]. La poursuite jusqu’à l’absurde de l’intransigeance de la Secrétaire d’Etat permet jusqu’à présent de douter de l’efficacité de ce travail en coulisse. Les maigres avancées obtenues semblent, au contraire, provenir des actions sur le terrain, niveau largement désinvesti par le Parti, en dehors de quelques organisations qui gravitent dans son giron et de personnalités en rupture avec son État-major[16]

Cet ancrage dans le paradigme de l’évitement, qui peut interpeller au regard des valeurs par ailleurs prônées par le parti, prend sens d’un point de vue politique. Dans le contexte d’une perception globalement négative de l’immigration, le soutien ouvert aux personnes migrantes est jugé incompatible avec la volonté du PS de rester incontournable au soir des élections du 29 mai 2014. Le relatif désintérêt manifesté pour le respect des droits des sans-papiers et demandeurs d’asile est en revanche jugé peu pénalisant chez l’électorat progressiste, en dépit de l’embarras qu’il suscite chez les mandataires et militants socialistes. Le parti semble par ailleurs avoir pris acte de la radicalité de l’opinion publique au nord du pays et de l’utilité de la stratégie de Maggie De Block pour couper l’herbe sous le pied des nationalistes flamands de la N-VA, qui cristallisent une part croissante du vote antisystème en Flandre.

Une question centrale pour Ecolo.

Pour des raisons tant politiques qu’idéologiques[17], les Ecologistes Confédérés pour l’Organisation de Luttes Originales (Ecolo) sont longtemps restés rétifs à l’idée de se situer sur le clivage gauche-droite. Le combat pour les droits des migrants fait cependant partie des « Luttes Originales » qu’ils entendent organiser. Après avoir obtenu ses premiers élus en 1981, le parti s’oriente ainsi très tôt dans la défense des droits des sans-papiers et demandeurs d’asile. Les positions défendues par le parti sont d’emblée audacieuses : droit de vote et d’éligibilité aux élections communales des étrangers résidents en Belgique depuis 5 ans, accès facilité à la naturalisation pour ceux qui le souhaiteraient au terme de cette même période, etc.

 Bien que ces revendications fussent également portées par la Gauche de la Gauche, la disparition des derniers élus communistes à la Chambre et au Sénat en 1985 laissera les coudées franches aux écologistes pour les incarner au niveau parlementaire. La formation, qui n’a jamais été un parti de masse capable d’actions significatives sur le terrain s’est progressivement spécialisée dans la contestation d’une politique migratoire sécuritaire et restrictive au sein de l’institution législative. L’implication du PS dans l’actuel durcissement de la politique migratoire a notamment permis aux élus Ecolo de se distinguer par leur activisme à son encontre, en particulier sur l’emblématique dossier des demandeurs d’asile afghans.

Si les verts conservent un programme globalement plus ambitieux que celui de leur aîné à la « gauche de gouvernement », le projet politique des deux partis sur cette question est en de nombreux points similaires[18]. Leurs fondements théoriques divergent toutefois sur plusieurs points. À la différence du PS, né dans le contexte de la société industrielle sur le versant « travailleur » du clivage socio-économique, Ecolo prend ses racines dans les combats post-matérialistes nés dans la foulée de mai 68. Alors que les « rouges » perçoivent davantage l’immigration dans une optique de classe, les verts fondent leur solidarité avec les migrants sur une base de droits individuels. « Ils accordent de fait une plus grande importance relative aux questions migratoires, qui impliquent une moindre disposition à transiger sur le droit des étrangers » note le politologue Jean-Benoît Pillet. Cette centralité a joué un grand rôle dans les avancées obtenues lors de leur unique participation au pouvoir de 1999 à 2003, mais n’a toutefois pas empêché le parti de sacrifier, comme le PS, d’importants points de son programme concernant l’immigration[19].

En dépit de la cohérence de ses positions avant-gardistes sur le sujet, le parti, qui dispose d’un faible ancrage local, peine à en tirer des bénéfices électoraux. L’ambiance est au repli sur soi, et les discours démagogiques anti-immigrés sont beaucoup plus facilement audibles à travers les canaux médiatiques traditionnels que la posture de défense des migrants, qui nécessite une pédagogie de longue haleine et est souvent caricaturée comme ignorantes des préoccupations des classes populaires. Des études internes du parti montrent d’ailleurs que le sujet constitue régulièrement, avec le nucléaire, l’un des principaux points de clivages de sa base électorale.

Pas question toutefois, selon la députée fédérale Zoé Genot, de transiger sur les valeurs. « Le soutien aux personnes migrantes est tellement consubstantiel à l’identité du parti qu’il ne serait pas envisageable d’opérer une rupture sur ce point ». On peut constater que le retour progressif à une position d’équidistance entre la droite et la gauche qui a suivi la défaite électorale de 2003 n’a pas conduit à des modifications substantielles de son programme sur l’immigration. Un signe que le sujet ne constituera pas, à brève échéance, la future variable d’ajustement d’un repositionnement stratégique futur d’Ecolo.

Une question de classe.

La prétention de la Gauche de la Gauche à assumer un combat anticapitaliste abandonné par la social-démocratie a longtemps fait obstacle à une prise en compte des questions de société dont la liaison avec le conflit social n’était pas évidente. Parmi celles-ci: l’immigration. L’aspect secondaire accordé à ces questions avant les années 1970 n’a toutefois pas empêché le mouvement communiste d’adopter, au nom de l’internationalisme prolétarien, une politique d’ouverture en avance sur son époque : ignorés par les partis traditionnels, les travailleurs étrangers sont très tôt soutenus par le Parti communiste de Belgique, qui se fit notamment le relai des revendications des étrangers travaillant dans les charbonnages, et aida à leur organisation politique[20].

L’ancrage durable de l’immigration dans la société belge, et, surtout la montée électorale de l’extrême droite et la propagation de ses idées xénophobes vont conduire la Gauche radicale, dans toute sa diversité, à accorder une plus grande place à cette question. Perçu comme une arme de division des travailleurs qui les détournerait des antagonismes les opposant au patronat, le discours anti-immigré est alors combattu avec fermeté. La position des partis d’inspirations communistes sur cette question consiste depuis à prôner la régularisation des sans-papiers et l’octroi des mêmes droits économiques et sociaux qu’aux travailleurs nationaux, avec l’idée plus ou moins présente de lutter contre le travail informel[21]. Depuis la perte de la représentation parlementaire des communistes, le soutien aux migrants se manifeste surtout à travers les actions de terrain et les initiatives en direction de la société civile. Certaines d’entre elles, comme le réseau antifasciste Blokbuster créé par le Parti socialiste de Lutte (PSL), et surtout la pétition « Objectif 479.917 »[22] initiée par le Parti du Travail de Belgique (PTB) ont pris une ampleur inattendue.

 La faiblesse structurelle de la Gauche radicale en Belgique la condamne toutefois à une audience souvent confidentielle, rendant par là ses revendications inaudibles hors des sphères militantes. Les récentes performances du PTB, qui augurent un possible retour de la Gauche radicale au Parlement lors des élections fédérales de 2014, seraient dès lors susceptibles de permettre de faire entendre à un échelon supérieur la voix des migrants, dans une perspective davantage axée sur la lutte des classes. En pointe sur la défense des revendications des sans-papiers et demandeurs d’asile, le programme du parti trouve une expression pratique à travers les actions concrètes de soutien aux migrants, notamment à travers son mouvement de jeunesse, Comac. « Il s’agit d’une part de préserver l’unité de la classe ouvrière, et d’autre part d’apporter des réponses spécifiques aux problèmes rencontrés par les migrants », explique Riet Dhont, responsable du PTB active dans le comité de soutien belge aux demandeurs d’asile afghans.

La vocation hégémonique du parti et, corolaire, son souci d’inscrire sa communication « au cœur des préoccupations des gens » pourrait toutefois le conduire à l’avenir à tempérer ses revendications en faveur des immigrés. La stratégie électorale du PTB consiste en effet à « adapter la communication pour gagner les cœurs et les esprits »[23]. La grande enquête réalisée à l’échelle du pays par le parti en vue de définir les priorités pour les élections de 2014 s’y inscrit parfaitement, puisque c’est sur base de ses résultats que le thème de la pauvreté fut choisi comme fer de lance de la future campagne[24].

Si la rigidité programmatique du parti marxiste-léniniste le préserve d’un revirement d’ampleur sur les thématiques migratoires, un renforcement de la xénophobie dans l’opinion pourrait conduire le PTB à délaisser ce combat pour glisser progressivement vers une stratégie de l’évitement. Signe avant-coureur : la liste des priorités que la grande enquête préélectorale demandait aux répondants de classer par ordre d’importance, qui comportait des sujets aussi divers que la justice, la paix ou la propreté ne comportait aucune mention directement liée à l’immigration.

Le soutien aux migrants, un marqueur pour la Gauche.

Ce tour d’horizon montre qu’en dépit de leurs différences, les formations qui se revendiquent de la Gauche conservent une matrice commune dans leur façon d’aborder la question de l’immigration. Elle se fonde sur une conception non exclusive de la solidarité et de la citoyenneté, dont la vocation universaliste diverge fondamentalement du nouveau discours socialisant d’une certaine extrême droite, de type Front national français. En cela, le rapport à l’immigration, loin d’être une question secondaire, constitue l’un des facteurs qui permettent de sonder la cohérence d’un projet progressiste.

Le réel danger ne consiste pas tant en Belgique en un ralliement de la Gauche aux idées xénophobes et à une conception sécuritaire de l’immigration qu’en une perte en centralité du projet de défense des migrants. La propension du PS à brader son programme migratoire une fois au pouvoir montre en effet que les régressions en terme de droits pour les migrants ne dépendent pas tant du désinvestissement de ces questions par les progressistes que de leur surinvestissement par les conservateurs. Ces derniers accordent une grande importance au fait d’envoyer des gages de fermeté aux franges les plus xénophobes de leur électorat.

Commode en ce qu’elle permet de garder bonne conscience sans entraîner de retombées électorales négatives, la posture de l’évitement ne diverge pas sensiblement du suivisme à l’égard du discours d’extrême droite : tant l’absence d’affrontement avec elle que l’embrassement de ses idées contribuent à la renforcer. Pour éviter sa disqualification en tant qu’acteur potentiel d’un changement progressiste, la Gauche ne pourra manquer de s’inscrire résolument dans le paradigme de la confrontation. Elle devra pour cela abandonner une fois pour toutes les faux-fuyants, porter haut et fort les revendications des étrangers là où elle le peut, et développer une pédagogie à même de les rendre audibles pour le grand public. Il en va de sa crédibilité en tant que relai naturel des couches les plus précarisées de la population.



[1] "À quoi est dû le sentiment anti-immigration ?", 14 Janvier 2014, irinnews.org
[2] Comme l’illustre les prises de positions du Parti Socialiste néerlandais et du Parti Populaire Socialiste danois pour un renforcement des contrôles des flux migratoires, respectivement sous la pression des partis populistes de droite PVV (Parti pour la liberté) et du DF (Parti du Peuple Danois).
[3] Keith, Daniel et McGowan, Francis, "The Radical Left and the Politics of Migration Since the Crisis: Resilient or Acquiescent in the face of the Radical Right?" 17 mai 2013, academia.eu
[4] Notamment à travers la coordination « objectif 82 » (future « Démocratie Plus »).
[5] On peut penser au PRL (Parti Réformateur Libéral), ancêtre du MR, qui accueillit dans ses rangs Roger Nols, exclu du FDF (Fédéralistes Démocrates Francophones) pour des propos racistes proférés à répétition, et qui légitima les thématiques xénophobes en en faisant leur figure de proue durant toute la décennie. Plusieurs mandataires bruxellois du FDF s’illustrèrent également par des saillies contre la population étrangère à Bruxelles. Delwit, Pascal et De Waele, Jean-Michel, "Les partis politiques et la montée de l'extrême droite en communauté française de Belgique", p. 229-230, in Delwit, Pascal (dir.), "L'extrême-droite en France et en Belgique", Complexe, 1998, Bruxelles.
[6]Delwit, Pascal, loc.cit. p.230
[7] Lambert, Pierre-Yves, "Lettre ouverte aux dirigeants de la Fédération bruxelloise du PS", 26 juin 1987, suffrage-universel.be
[8] Delwit, Pascal, loc.cit., p. 234.
[9] Voire la réaction des socialistes suite à la tentation du ministre de l’intérieur Patrick Dewael de s’inspirer du modèle migratoire danois, adopté avec le soutien de l’extrême-droite. Martin, Pascal, "Un modèle danois pour Dewael?", Le Soir,  10 février 2005. Lire aussi la réaction des socialistes suite à la réticence de la secrétaire d’Etat à l’Asile et à l’Immigration  Annemie Turtleboom à appliquer l’accord de gouvernement concernant les critères de régularisation des sans-papiers. Communiqué du PS, "Régularisation des sans-papiers", 19 juin 2009, ps.be
[10] Royen, Marie-Cécile, "Immigration : 72% des Belges la jugent négative", 5 septembre 2011, levif.be
[11] Programme du Parti Socialiste pour les fédérales de 2010, "Un pays stable, des emplois durables", pp 119-122.
[12] Laporte, Christian, "Réunir le PS et la N-VA ? Magnette en doute", 14 octobre 2013
[13] Pour un plus long développement des mesures prises par le gouvernement Di Rupo, lire notre précédente analyse : "La Méthode De Block ou la fermeté déshumanisante", novembre 2013, acjj.be 
[14] On peut notamment penser aux marches vers Gand et Mons, qui a également conduit les médias, naguère acquis à la cause de la Secrétaire d’Etat, à changer leur fusil d’épaule.
[15] Guerrini, Pierre, "Afghans ! Le président du PS belge réclame de la discrétion médiatique", 25 janvier 2014, blogs.mediapart.fr
[16] Voire notamment les critiques récurrentes adressées par Philippe Moureaux aux mandataires socialistes, jugés trop complaisant à l’égard de la secrétaire d’Etat à l’Asile et à l’Immigration. Buxant, Martin, "Moureaux révolté par son propre camp", 9 janvier 2014, L’Echo. Sur le terrain, on notera les visites régulières de Sfia Bouarfa à l’église du béguinage occupé par le mouvement des demandeurs d’asiles afghans.  
[17] Au niveau politique, il s’agissait surtout de ne pas s’inféoder au PS et de ne pas se couper de partenaires potentiels de gouvernement. Le rapport qu’entretenait à ses débuts le parti à l’étatisme et au productivisme l’éloignait par ailleurs des positions de la gauche socio-économique. 
[18] A titre d’exemple, les socialistes francophones veulent que la détention des illégaux soit le dernier recours, sans exiger la fermeture des centres fermés – dont le recours a été consacré lorsque leurs homologues flamands occupaient le ministère de l’intérieur en 1996 –  revendication portée de longue date par les écologistes.
[19] Programme d’Ecolo 2003-2004 – Immigration et citoyenneté.                                                                                                             
[20] Jacques Moins, "La spécificité belge", Actes de la Journée consacrée aux partis communistes étrangers en Belgique, p. 3,  carcob.be
[21] Principale objection des syndicats à leur ralliement au principe de liberté de circulation, la nécessité d’une égalité des conditions de travail et de rémunération n’est pas systématiquement présente dans les programmes des partis de Gauche radicale.
[22] Renette, Eric, "Objectif 479917, l'antifascisme en marche", Le Soir, 11 juin 1994
[23] Documents du huitième congrès du PTB, "un parti souple", 2 mars 2008, p.76
[24] "Élections 2014: le PTB placera la pauvreté au centre de sa campagne", 21 janvier 2014, lesoir.be

Asile et Immigration en Belgique : « Changer la figure du migrant » (Grégory Mauzé)

Asile et Immigration en Belgique : « Changer la figure du migrant »
Par Grégory Mauzé 
texte diffusé sur le site de l'Association Culturelle Joseph Jacquemotte (ACJJ)


Dans leur lutte pour faire valoir leurs droits, les sans-papiers et demandeurs d’asile sont souvent confrontés à un constat amer : à défaut d’un soutien actif d’une majorité de citoyens, toute tentative d’ébranler les fondements de la politique migratoire ultra-restrictive semble vouée à l’échec. Une impasse révélatrice de l’urgence qu’il y a à changer le regard que portent les nationaux sur les nouveaux arrivants.


Dans un coin de l’ancienne école qu’ils occupent depuis deux semaines, des membres du collectif des « 450 afghans » qui réclament un moratoire sur les expulsions vers leur pays en guerre et leurs soutiens belges tiennent conseil. L’ambiance est morose. Éreintés par plusieurs mois de manifestations auxquelles répondent intimidations et répression des pouvoirs publics, les candidats réfugiés manquent de tout. Une nouvelle intervenue dans la journée achève de briser le moral des troupes : le juge vient de le leur notifier leur prochaine expulsion des lieux, la septième en deux mois. Entre doute et détermination, un constat se fait lancinant : chaque fuite en avant répressive de la part des mandataires politiques en charge de l’asile et de l’immigration contribue à augmenter leur popularité. Une observation lucide qui conduit à poser l’inévitable question : comment inverser la vapeur et gagner la bataille de l’opinion ?
Cette interrogation restera non tranchée durant la suite des débats. Et pour cause : elle taraude depuis des générations les migrants et ceux qui ont pris part à leur combat, sans qu’ils parviennent à y opposer une réponse efficace. Il faut dire que la gageure est de taille : dans le monde politique contemporain, la posture consistant à pointer les étrangers comme un danger dont seul un strict contrôle des frontières permettrait de se prémunir constitue une ressource essentielle. Bien maitrisée, elle présente la vertu de s’autoalimenter une fois la machine correctement lancée. La sévérité des réponses politiques conforte alors les citoyens dans leur hostilité première envers des nouveaux arrivants, assurant par là une popularité certaine à ceux qui les mettent en œuvre[1].
Le succès en demi-teinte de la stratégie de communication des demandeurs d’asile afghans est à cet égard révélateur des limites qui caractérisent plus généralement les mouvements de migrants. Leurs démarches auprès de la société civile a notamment permis de réunir un comité de soutien d'une cinquantaine d’associations, et d’avoir imposé ces dernières dans le débat médiatique, en dépit d’un contexte largement défavorable. Mais ce résultat honorable contraste avec les cinglantes fins de non-recevoir adressées jusqu’à présent par les pouvoirs publics à leurs revendications. Certes, le travail de plaidoyer politique reste fondamental, d’autant que les migrants, catégorie précaire s’il en est, ne peuvent espérer faire valoir leurs intérêts directement auprès des décideurs. Étant donné la centralité de l’opinion dans la définition des politiques migratoires, sa conquête s’impose toutefois comme un pré requis absolu.

Contourner le blocus médiatique.

Un tel objectif nécessite en premier lieu de comprendre les ressorts de l’élaboration de l’opinion publique sur cette question. De nombreux travaux universitaires insistent notamment sur le rôle de croyances – souvent infondées[2] – dans la détermination des préférences individuelles vis-à-vis de l’immigration[3]. Ainsi les citoyens nationaux tendent-ils à percevoir leur rapport aux nouveaux arrivants comme un jeu à somme nulle. Comme le soulignent les chercheurs Jérôme Héricourt et Gilles Spielvogel, cette inclinaison à la xénophobie se trouve renforcée dans un contexte de crise, dans lequel « toute politique publique de soutien à l’intégration et à la réussite économique des immigrés est perçue comme une spoliation par les nationaux »[4].
Le dernier baromètre social de la Wallonie est à cet égard éloquent : les Wallons estimeraient ainsi à 25 % la proportion d’étrangers présents sur le territoire national, soit le double du chiffre réel[5]. Alors qu’ils sont 68 % à considérer l’immigration comme une charge sociale pour le pays d’accueil, le taux tombe à 48 % pour les répondants qui évaluent avec le plus de justesse le poids effectif de la population. Ce constat corrobore l’hypothèse selon laquelle le jugement porté sur les personnes migrantes est intimement lié à sa perception plus ou moins correcte. Partant, une meilleure information sur le sujet, en permettant une approche dépassionnée, contribuerait à changer la façon d'aborder le phénomène migratoire.
Cet impératif de pédagogie se révèle difficilement compatible avec la dynamique en cours dans les médias dominants, secteur pourtant au cœur du processus de formation et d’homogénéisation de l’opinion. Le poids croissant des exigences commerciales dans le fonctionnement des rédactions implique une course au récit médiatique vendeur, qui conduit à traiter les questions liées à l’immigration sous un angle sensationnaliste. « Alors que les thématiques migratoires sont extrêmement complexes, on cherche de plus en plus à les confier à des journalistes généralistes qui auront tendance à traiter superficiellement le sujet, conformément à la ligne éditoriale » témoigne Martine Vandemeulebroucke, ancienne journaliste spécialisée dans les questions d’asile et d’immigration au quotidien Le Soir.
Cette même dynamique conduit les principales rédactions à déconnecter les revendications des migrants des problématiques dont elles sont à l’origine. L’entrée en grève de la faim de l’avocate des afghans Selma Benkhelifa pour protester contre le non-respect du droit d’asile fut ainsi reléguée à la section « faits divers » du site internet de la chaîne RTL[6]. En outre, l’absence de soubresaut télégénique propice à une couverture dramatisée des événements a conduit les médias à ramener celle du mouvement des « 450 afghans » à sa plus simple expression. « On n’a jamais eu autant de soutien associatif, des écoles, des syndicats et de la société civile organisée et parallèlement aussi peu de couverture médiatique pour un mouvement de ce genre » déplore Selma Benkhelifa.
La faible disposition des rédactions les plus influentes à offrir des clés de lecture qui permettraient de comprendre la lutte des mouvements migrants confronte ces derniers à un double défi : il s’agit d’une part d’intégrer cette donne dans leur stratégie de communication, en tentant notamment d’éviter une couverture négative. D’autre part de parvenir à contourner le blocus médiatique en vue de faire connaître leur cause par d’autres moyens.

Éducation populaire.

La stratégie des pouvoirs publics visant à éluder les aspects les plus controversés des politiques migratoires, la réponse naturelle consisterait à se saisir de toutes les occasions possibles pour ramener les migrants à leur humanité. À cet égard, les actions de proximité qui touchent au quotidien des citoyens ont cette vertu de redonner une dimension concrète à une réalité volontairement maintenue dans l’abstraction. On a ainsi pu assister ces derniers mois à de nombreuses mobilisations locales pour soutenir des demandeurs d’asile déboutés parfaitement intégrés, dont l’injonction à quitter le territoire a ému une partie de la population, notamment en Flandre. Ces situations – et le pathos qu’elles charrient – se prêtent idéalement à une mise en récit médiatique, et ont dès lors été abondamment relayées par les principales rédactions du nord du pays. 
S’ils peuvent susciter certains espoirs compte tenu de l’atmosphère xénophobe dominante, ces élans de soutien, qui transcendent souvent les clivages partisans[7], sont généralement déconnectés d’une critique fondamentale des politiques à l’origine de ces situations. Ce positionnement conduit alors à établir une hiérarchie entre les migrants menacés d’expulsion. « On défend son voisin, pas le groupe dont il fait partie », constate Martine Vandemeulebroucke, qui pointe le décalage entre le traitement réservé aux Afghans assimilés en Flandre et le désintérêt concomitant pour les « 450 Afghans », dont la détresse respective trouve pourtant ses origines dans les mêmes décisions politiques[8]. Tout appréciables qu’elles puissent être pour les personnes concernées, ces démarches axées sur l’émotionnel constituent en réalité un frein à une analyse susceptible d’enrayer structurellement la perception négative du phénomène migratoire.
La sensibilisation et l’information destinées à déconstruire les idées reçues sur cette thématique semblent dès lors essentielles pour faire évoluer les mentalités. En l’absence d’une intégration de ces questions au niveau des cycles d’éducation scolaire, cette responsabilité échoit à la société civile. Les associations d’éducation populaire et permanente avec leur approche ascendante et participative se révèlent particulièrement adaptées pour fournir l’indispensable effort de pédagogie requis. Focus sur l’inégalité des échanges nord-sud, souvent aux sources des flux migratoires ; enjeux du droit d’asile et des obligations internationales en matière d’accueil pour les réfugiés ; travail sur l’ampleur des mouvements de population vers les pays occidentaux, qui contribue à rendre caduque la parabole de la « forteresse assiégée »… des champs de sensibilisation qui représentent autant de fenêtres d’opportunité pour éclairer la population sur les enjeux des migrations, et donc susceptibles de faire évoluer leur rapport à ces dernières.
Si de telles campagnes axées sur les dimensions humanitaires existent et sont parfois efficaces, elles présentent le risque de prêcher entre convaincus, sans dépasser de façon significative le cercle de militants qui gravitent autour de ces associations. Ce travail est en outre entravé en Belgique par la présence de deux opinions publiques fondées sur des espaces linguistiques distincts, ce qui ralentit les actions communes au niveau national, pourtant nécessaires étant donné le caractère fédéral de la politique migratoire.
Mais la principale limite de cette approche didactique réside surtout dans sa dimension éthique. Le calcul selon lequel une meilleure perception de l’immigration découlerait naturellement de sa meilleure compréhension se fonde en effet sur l’aspiration supposée des individus à la justice. Un postulat qui ne se vérifie pas toujours, a fortiori en temps de crise économique où la crainte d’une raréfaction des ressources (salaires, emplois, accès à l’État-providence, etc.) tend à rendre les citoyens imperméables aux arguments humanitaires. Aussi nécessaire qu’elle soit, cette pédagogie des causes de l’immigration se révèle donc insuffisante. Pour espérer faire bouger les lignes, elle doit s’accompagner d’une approche plus pragmatique fondée sur les intérêts bien compris des nationaux.

Communauté d’intérêts.

Cette approche complémentaire porte un nom : la conscientisation de classe. Replacer les migrants dans le contexte de l’antagonisme capital-travail permet en effet de mettre en évidence la relation d’exploitation qu’ils partagent avec les travailleurs nationaux[9]. Une telle perspective passe non seulement par une réactivation du sentiment d’appartenance de classe – qui s’est réduit comme peau de chagrin au cours des dernières décennies[10] – chez ces derniers, mais également par une affirmation de celui-ci chez les travailleurs migrants, pour qui une telle identification ne va pas non plus de soi[11] .Elle requiert également de déconstruire pièce par pièce les arguments des tenants d’une approche sécuritaire et répressive : impuissante à réduire de façon significative la présence étrangère, celle-ci a surtout pour effet de précariser la situation des personnes en situation irrégulière, lesquelles sont dès lors condamnées à un travail au noir qui les cantonne à la sous-prolétarisation.
Ce travail de longue haleine pourrait être facilité en Belgique par l’importance qu’y occupent les syndicats. En tant que représentantes des travailleurs, ces institutions sont en première ligne pour mettre en évidence les implications socialement mortifères des politiques migratoires actuelles. « Personne n’a intérêt à ce que se développe une zone de non-droit, dont pâtissent à la fois les sans-papiers exploités et les travailleurs nationaux victimes de cette concurrence faite à l’économie légale. » Analyse Martin Willems, secrétaire permanent à la Centrale nationale des Employés (CNE).
Alors qu’elle avait pu par le passé entretenir un rapport parfois ambivalent à l’immigration, la pratique syndicale en Belgique se place désormais sous le signe de l’ouverture et de l’égalité des droits sans distinction de nationalité ou de légalité statutaire. Les deux principaux syndicats du pays (Confédération des Syndicats Chrétiens [CSC] et Fédération Générale des Travailleurs de Belgique [FGTB]) disposent désormais d’un collectif de travailleurs sans-papiers, lesquels cotisent et bénéficient du même statut que les autres affiliés. Le travail de sensibilisation aux questions migratoires est progressivement réinvesti en interne, avec un certain succès en termes de déconstruction d’idées reçues.
 Une plateforme de réflexion et d’action en partenariat avec la société civile a en outre été mise en place pour défendre une vision alternative de l’immigration, en lien avec les questions socio-économiques. « Il est fondamental de montrer que quand on active les chômeurs, qu’on baisse les salaires, et qu’on refuse d’octroyer des droits aux migrants, on est dans la même logique qui vise à précariser la condition salariale » insiste Myriam Djegham, militante syndicale membre du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC). La communauté d’intérêts qui unit migrants et non-migrants établis, il devient beaucoup plus aisé de déconstruire l’argument – potentiellement opposable à l’approche humanitaire – selon lequel l’octroi de droits aux allochtones se ferait au détriment des citoyens nationaux.
Aussi limpide soit-il, ce message n’est pas toujours facile à faire passer au grand public. « L’une des démarches possibles pour changer la figure du migrant serait de médiatiser les cas individuels qui illustrent le fait que migrant n’est pas la cause du dumping social, mais qu’il est le premier à en subir les conséquences », explique Eva Jiménez Lamas, responsable du groupe « travailleurs migrants » à la CSC. Un exemple encourageant nous vient de la France, avec la grève des travailleurs sans-papiers déclenchée en 2009 contre des plans de licenciements dans le secteur de la restauration. En quelques semaines, les sans-papiers concernés sont passés du statut de voleurs d’emplois à celui de travailleurs astreints aux mêmes devoirs sans bénéficier des mêmes droits.
Plus que le contenu émotionnel de cette grève déclenchée en pleine chasse sarkozienne aux clandestins, c’est surtout la triste banalité de ce conflit social qui a ému l’opinion publique, qui découvrit tout à coup une catégorie de la population surexposée aux offensives patronales[12]. « Les grévistes ont été défendus comme n’importe quels travailleurs confrontés aux plans de licenciements. » Témoigne Raymond Chauveau de la Confédération Générale du Travail (CGT), qui a coordonné au niveau national ce mouvement parti de la base.
Le succès de cette grève illustre à merveille la nécessité d’accompagner la perspective de classe par une inscription à part entière des migrants dans les combats qui les concernent. En initiant et en portant les mouvements pour leur reconnaissance politique, sociale ou civique, ceux-ci se placent d’emblée dans un rôle d’acteurs, plutôt que de victimes pour lesquelles il faudrait faire preuve de compassion. L’auto-organisation devient alors un antidote aux discours identitaires qui jouent de la concurrence entre groupes précarisés. « Nous ne demandons pas de traitement de faveur ni de pitié, mais la reconnaissance de nos droits », explique Samir Hamdard, porte-parole du collectif des afghans, lassé des procès en chantage émotionnel intentés par la Secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration, Maggie De Block. 
 
Cette nécessité d’éviter le paternalisme implique une claire répartition des rôles entre les organisations de migrants et les mouvements qui les soutiennent. Si leur action se révèle souvent indispensable pour obtenir des résultats concrets[13], l’importance prise par ces derniers présente parfois le risque d’éluder les revendications spécifiques des migrants, de même que leur rôle dans leur propre combat. Il ne reste alors qu’un pas pour un retour à une conception morale.
 
La solidarité plutôt que la charité.

Au final, c’est donc la solidarité, entendue comme « relation d’entraide et de soutien entre personnes ayant conscience d’une communauté d’intérêts », qui semble la plus à même d’impulser une rupture avec la perception majoritairement négative du phénomène migratoire. Le sentiment d’appartenance commune entre migrants et non-migrants est en effet le plus prompt à convaincre les citoyens qu’une opposition active contre les politiques migratoires actuelles s’impose, indépendamment de la sensibilité manifestée par ailleurs pour la situation extrêmement précaire des illégaux. À l’inverse, le discours fondé sur les aspects humanitaires, en se fondant sur des conceptions éthiques individuelles qui confinent parfois à la charité, se révèle insuffisant, a fortiori dans un contexte de crise propice à la raréfaction des comportements altruistes.  
L’ampleur des problèmes humains et sociaux générés par la gestion de l’asile et de l’immigration économique nécessite néanmoins de mobiliser toutes les ressources à même d’infléchir le paradigme sécuritaire et répressif, tout en prenant garde à une juste hiérarchisation des arguments et des méthodes employées. « Il n’existe aucune solution miracle, et il est illusoire d’attendre des résultats à court terme. Il est toutefois vital d’agir sur tous les niveaux possibles, car on perd du terrain », résume Cécile Vandersteppen du Centre National de Coopération au Développement (CNCD-11.11.11.). Faire vibrer le maximum de cordes sensibles sans risquer la disharmonie, sur un instrument essentiellement aux mains de leurs adversaires... Tout le défi imposé aux mouvements engagés dans cette lutte déséquilibrée.

*Les citations non-référencées sont tirées d’entretiens avec leurs auteurs.



[1] Une attitude sur les questions migratoires qui contraste singulièrement avec la tendance en œuvre dans les champs économiques et sociaux, où la tendance est au contraire à la déconnection entre la prise de décision politique et les préférences de la majorité de la population.
[2] Les principales études sur le sujet concluent souvent à un impact marginal de l’immigration sur les systèmes sociaux. V. Rothtorn, Robert, "The fiscal impact of immigration on the advanced economies", pages 531-581, Oxford Review of Economic Policy, vol. 24, 2008
[3] Héricourt, Jérôme et Spielvogel, Gilles, "Perception publique de l’immigration et discours médiatique", 18 décembre 2012, laviedesidées.fr
[4] Loc.cit.
[5] Tassin, Stéphane, "Les immigrés? Une charge pour la sécurité sociale disent les Wallons", La Libre Belgique, 12 décembre 2013
[6] "Une avocate des Afghans entamera à son tour une grève de la faim", 5 décembre 2013, rtl.be
[7] On observera avec circonspection le soutien apporté par certains nationalistes flamands de la NVA, formation pourtant viscéralement hostile aux nouveaux migrants, dont les élus locaux de la municipalité d’Anvers prônait encore récemment la suppression de l’aide médicale d’urgence pour les illégaux qui n’acceptaient pas une procédure de retour volontaire.
[8] Vandemeulebroucke, Martine, "Les Afghans (suite) : les bons exclus et les autres", 27 septembre 2013, amnesty.be
[9] Si tous les sans-papiers ne se réclame par de la classe ouvrière, 
[10] Comme le montre la tendance des catégories précarisées à s’identifier à la classe moyenne, en dépit de leur condition sociale objective. Observatoire des inégalités, "Les classes moyennes en quête de définition", 17 février 2009, inegalites.fr
[11] En dépit d’une position dans la hiérarchie sociale qui les places indubitablement dans le versant  « travailleurs » du clivage socio-économique les opposant aux possédants.
[12] Chauveau, Raymond, "Un conflit du travail presque banal", Regards croisées n°51, novembre-décembre-janvier-février 2011.
[13] Outre l’action des syndicats pour relayer les revendications des travailleurs migrants, qui se révèle décisive pour inscrire les travailleurs issus des nouvelles migrations à la classe salariale nationale, on peut penser aux différents comités de soutien aux sans-papiers et demandeurs d’asiles qui ont émergé ces dernières années. Plus récemment, la grève de la faim de quatre belges membres du comité de soutien aux « 450 afghans » a contribué à relancer provisoirement la couverture médiatique d’un mouvement en passe de tomber dans l’oubli. Jointe à la mobilisation des afghans, cette action symbolique a permis de relancer le dialogue avec la secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration, qui a ouvert la porte à une meilleure intégration des recommandations du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Réfugiés (HCR) dans l’examen des nouvelles demandes d’asiles par le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA).