« Méditerranée, quand le rêve tourne au cauchemar ».
Par Youri Lou Vertongen
Bonjour à toutes et à tous,
Merci d'être présents pour cette rencontre – conférence –
débat (qu'importe le nom qu'on lui donne) autour de ce titre
évocateur : « Méditerranée, quand le rêve tourne au
cauchemar ». Organisée dans le cadre de l’Université
d'automne d'Amnesty. J'en profite, avant d'introduire nos invités,
pour remercier les membres du cercle Amnesty de l'ULB qui auront été
les chevilles ouvrières de cette rencontre et, à n'en pas douter,
les vecteurs principaux de la réussite de cet événement. Merci à
eux.
Cette conférence – ce débat – se passe dans un contexte un peu
particulier. En effet, comme vous le savez, des centaines de
naufragés migrants ont péris en Méditerranée ces dernières
semaines. On aurait pu dire ces dernières années, tant ces drames,
que les gouvernements européens feignent de découvrir cette
semaine, durent depuis longtemps, sans que aucune solution politique
n'ai été définie, si ce n'est plus de murs, plus de contrôle,
plus de répression. La politique migratoire européenne est, et l'a
toujours été, une politique anti-migratoire, hostile aux étrangers,
à leur venue, à leur culture, à leur intégration.
De nombreuses voix du monde médiatique, militant, citoyen, se sont
élevées suite au naufrage de la semaine dernière. Ces voix
disaient la « colère de l'immobilisme », elles
disaient « l'indignation des traitements réservés
aux migrants par les états de l'UE », elles
disaient aussi « la honte d'être du bon côté de la
frontière-mer », elles
disaient « l'impossible identification à un système
qui, pour s'élever, a besoin d'enfuir, d'enfermer, de clandestiniser
des centaines, des milliers de personnes parce qu'ils n'ont pas les
bons papiers ».
Parmi ces réactions, je me permettrai de relayer celle-ci, émanant
du réseau universitaire qui est le mien, à travers une carte
blanche qui sera publiée la semaine prochaine et rédigée par
Jacinthe Mazzochetti et Xavier Briké, tout deux anthropologues à
l'UCL, et qui sont rejoints dans les signataires, par quelques
chercheurs du groupe de réflexions « Migrations et Luttes
Sociales », dont certains sont présents dans cette salle.
Les
Etats membres répondent aux drames en déployant un
arsenal
d’options sécuritaires. Une posture irresponsable !
Le
communiqué officiel du sommet européen fait froid dans le dos. La
situation de crise de ces derniers jours reçoit une fois encore
comme principale réponse un renforcement du tournant sécuritaire de
nos politiques migratoires. Les Commissaires Européens à la
Migration maintiennent leur obstination à se concentrer sur les
conséquences de leurs politiques inadaptées !
L’augmentation
des moyens attribués aux opérations de l’agence Frontex en
triplant les budgets de contrôle des frontières et des nouvelles
routes empruntées par les migrants ne contribuera pas aux sauvetages
des personnes qui se produisent le plus souvent loin des côtes. Cet
investissement est un échec !
Les
décès qui s’accumulent sont là pour nous prouver qu’une route
fermée, en ouvre une autre, davantage risquée. Les démonstrations
de dissuasion ne découragent pas les personnes à migrer. Détruire
les embarcations des dits trafiquants comme réponse est un leurre !
Ces décisions génèrent des traversées via des bateaux plus
précaires encore.
Le
financement de moyens installés aux frontières et mis à
disposition de la lutte contre les migrants illustrent l’obstination
au refoulement des personnes privées de protection, meurtries par
les guerres et les parcours d’errance cauchemardesques. Les
opérations maritimes, terrestres et aériennes d’envergure seront
renforcées pour persuader les candidats à la traversée de changer
de cap et de revoir leurs desseins.
Est
envisagé également le
renforcement des coopérations politiques avec les partenaires
africains qui
vont dans le sens d’un soutien aux États pour contrôler leurs
frontières. Il s’agit, de fait, de poursuivre une politique
d’externationalisation des frontières, stratégie utilisée de
longues dates par l’Europe pour ériger au-delà de ses limites
territoriales les bases avancées de ses gardes-remparts. Politique
d’externalisation qui permet de déjouer l’obligation d’appliquer
la convention européenne des droits de l’homme en déplaçant,
au-dehors du territoire européen, le bannissement des populations
qui une fois arrivées en Europe bénéficieraient du droit de
demander l’asile. Politique qui génère des lieux de non-droits,
comme le laissent entrevoir les nombreux camps aux abords des
frontières.
Les
conclusions du sommet laissent également croire en de possibles
résolutions rapides des conflits au Moyen-Orient par une
intensification des coopérations,
entre autres, avec la Turquie. Ce point nous laisse perplexe au vu de
la complexité des enjeux géopolitiques. Des solutions rapides à
ces conflits sont tout simplement illusoires.
Enfin,
rappelons une fois encore que les drames répétés de ces dernières
heures, au large des fortifications du continent Européen ne sont en
rien le fruit d’une indéniable fatalité. Ils constituent les
conséquences de choix politiques légiférés et organisés par les
États membres. Les discours qui tentent d’incriminer les causes de
ces tragédies exclusivement aux passeurs criminels, comme nous
l’avons entendu au travers des allocutions politiques récentes,
éludent incontestablement les causes et les enjeux rendant ces
drames possibles.
A
défaut de pouvoir obtenir un visa, solution évincée lors de ce
dernier sommet européen, leur permettant d’introduire en toute
légalité une demande d’asile dans l’espace Schengen, les
personnes persécutées se voient contraintes de se tourner vers
l’offre criminelle de passeurs peu soucieux de leur sort. Si dans
ce même plan d’urgence est ébauchée la question de la
réinstallation de quelques milliers de réfugiés en Europe ainsi
qu’un soutien aux pays-frontières, ces mesures sont énoncées en
parallèle de la facilitation des renvois forcés des migrants dits
illégaux, coordonnés une fois encore par Frontex.
Ces
politiques de « barriérisation » des frontières ne peuvent avoir
comme conséquence que le renforcement des mécanismes informels qui
se jouent des États et des individus vulnérables. Les
blocages aux lignes frontalières engendrent du danger (pour les
migrants plus fragiles) et la prolifération de pratiques informelles
et criminelles.
(...)
Comme il en est question dans la carte blanche, les morts de ces
dernières semaines ont présidé à l'organisation, la semaine
dernière, d'un sommet européen consacré à la question. Les chefs
d'Etats et de gouvernements européens se sont en effet retrouvés
pour discuter de 10 points concernant la politiques
(anti-)migratoires des pays-membres. Peut-être nos intervenants
pourront nous en dire plus quant au contenu de ces résolutions, si
elles représentent une avancée en termes de droits des migrants (ce
dont on est permis de douter) ou si il s'agit à nouveau d'un leurre,
permettant à « l'Europe Forteresse » de se raffermir
tout en laissant crever à ses portes les indésirés de ce temps.
Avant de passer la parole à nos intervenants, je me permettrai de
pointer tout du moins un paradoxe dans les résolutions européennes
concernant les migrants en méditerranée qui pourrait peut-être
lancer la discussion.
On
a pu entendre filtrer dans la presse que les résolutions de l'UE
orientaient leurs actions vers la répression des passeurs – ces
derniers tour à tour appelés « trafiquants » (qui est
désormais le terme consacré),
voire même « terroristes » (comme l'a dit François
Hollande lors d'une allocution sur Canal+ dimanche dernier).
Dans
ce contexte, se dessine une figure de migrant tantôt « victime »
(victime de la traite, victime de la guerre,...) que l'Europe se
donne pour mission de sauver, tantôt « assaillant » que
l'Europe se donne pour charge d'évincer. Le migrant semble
représenter alors tout et son contraire : à la fois victime et
envahisseur, bourreau. Mais toujours pas de figure politique des
migrants, comme
interlocuteurs légitimes des torts qu'ils subissent. En témoignent
sans doute, les deux suicides de migrants il y a quelques semaines
ici à Bruxelles : Oumar
Dansokho, un Guinéen de 25 ans, qui s'est immolé par le feu dans
les locaux de Fedasil jeudi dernier, le même jour, Benamar Lamri, un
Marocain de 42 ans, a été retrouvé pendu au centre fermé de
Merksplas. En témoigne également les difficultés à se faire
entendre des collectifs de lutte actuels, alors que la tentative
d'unifier l'ensemble des collectifs de migrants sous une plate-forme
commune, la « Coordination des sans-papiers », atteste de
la volonté de ces groupes de trouver une solution politique et non
pas uniquement humanitaire (encore moins sécuritaire).
Témoigne de cette double-vision du migrant, les dispositifs mis en
place par l'Union Européenne aux abords de la méditerranée. Nous
avons d'un côté, les missions comme Mare Nostrum et Triton, qui
sont des missions visant, officiellement du moins, à venir en aide
aux bateaux en périls dans la méditerranée. Renforçant cette
figure du migrant « victime », envers qui l'Europe, comme
à l'époque de la colonisation où elle entendait répondre au
fardeau de l'homme blanc (« White men's burden »),
s’érige en sauveuse des âmes, en accord avec les valeurs
humanistes théoriques qui sous-tendent son existence. De l'autre
côté, nous avons les missions à l'échelle européenne de type Mos
Maiorum et Amberlight. Ces vastes opérations de police, coordonnée
à l'intérieur de l'Espace Schengen vise à repérer et démanteler
des réseaux d'immigration trans- et intra-européenne. Le but ?
Massifier les arrestations de migrants « sans-papiers »
sous couvert de lutte contre le trafic d'êtres humains, identifier
au moyen d’une gigantesque chasse à l'homme les organisations qui
facilitent l'immigration, mais également repérer, identifier et
ficher sciemment les parcours, les trajectoires et les outils
empruntés par les migrants pour pénétrer sur le sol européen. Il
est ainsi explicitement demandé aux pays participants à cette
opération de noter, pour chaque migrant-e interpellé-e le
profil (nationalité, genre, âge, point et date d’entrée en Union
européenne) ; les chemins empruntés pour accéder en Europe ;
le modus operandi (faux papiers, demande d’asile, qui est le
passeur, nationalité et pays de résidence des facilitateurs, somme
versée par chaque immigrant, ...). Les arrestations des opérations
Mos Maiorum et Amberlight fourniront aux autorités européennes de
nouveaux outils d'une véritable « bio-politique du
sans-papiers », pour mieux prévoir, anticiper et empêcher
toute nouvelle forme d’immigration future.
Cette double posture à l'égard des étrangers, des migrants,
clandestins ou non, témoigne un réel soucis que l'Europe entretient
vis-à-vis des étrangers. Un réel paradoxe à mon sens.
Pour discuter de ce paradoxe apparent, nous recevons trois
personnalités.
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