Politiques migratoires: l’UE s'emmure et va droit dans le
mur
Une opinion de Youri Lou Vertongen
(CRESPO-ULB/MLS), Bachir Barrou (SPB/MLS), Léila Mouhib (ULB/MLS), Martin
Deleixhe (KUL/MLS), Jacinthe Mazzocchetti et Xavier Briké (LAAP-UCL).
Carte Blanche diffusée dans La Libre Belgique,
27 avril 2015-04-29
Les 28 s’obstinent dans la voie
sécuritaire : en plus d’ériger l’Europe en forteresse, ils repoussent encore
plus loin les frontières du continent et, avec elles, leurs responsabilités.
N’est-il pas temps de changer de cap, radicalement ?
Les Etats membres répondent aux drames
en déployant un arsenal d’options sécuritaires. Une posture irresponsable ! Le
communiqué officiel du sommet européen fait froid dans le dos. La situation de
crise de ces derniers jours reçoit une fois encore comme principale réponse un
renforcement du tournant sécuritaire de nos politiques migratoires. Les
Commissaires européens à la Migration maintiennent leur obstination à se
concentrer sur les conséquences de leurs politiques inadaptées !
L’augmentation des moyens attribués aux
opérations de l’agence Frontex en triplant les budgets de contrôle des
frontières et des nouvelles routes empruntées par les migrants ne contribuera
pas aux sauvetages des personnes qui se produisent le plus souvent loin des
côtes. Cet investissement est un échec ! Les décès qui s’accumulent sont là
pour nous prouver qu’une route fermée en ouvre une autre, davantage risquée.
Les démonstrations de dissuasion ne découragent pas les personnes à migrer.
Détruire les embarcations des dits trafiquants comme réponse est un leurre !
Ces décisions génèrent des traversées via des bateaux plus précaires encore.
Le financement de moyens installés aux
frontières et mis à disposition de la lutte contre les migrants illustre
l’obstination au refoulement des personnes privées de protection, meurtries par
les guerres et les parcours d’errance cauchemardesques. Les opérations
maritimes, terrestres et aériennes d’envergure seront renforcées pour persuader
les candidats à la traversée de changer de cap et de revoir leurs desseins.
Est envisagé également le renforcement
des coopérations politiques avec les partenaires africains qui vont dans le
sens d’un soutien aux Etats pour contrôler leurs frontières. Il s’agit, de
fait, de poursuivre une politique d’externalisation des frontières, stratégie
utilisée de longue date par l’Europe pour ériger au-delà de ses limites
territoriales les bases avancées de ses garde-remparts. Politique
d’externalisation qui permet de déjouer l’obligation d’appliquer la Convention
européenne des droits de l’homme en déplaçant, au-dehors du territoire
européen, le bannissement des populations qui une fois arrivées en Europe
bénéficieraient du droit de demander l’asile. Politique qui génère des lieux de
non-droit, comme le laissent entrevoir les nombreux camps aux abords des
frontières.
Les conclusions du sommet laissent également
croire en de possibles résolutions rapides des conflits au Moyen-Orient par une
intensification des coopérations, entre autres, avec la Turquie. Ce point nous
laisse perplexe au vu de la complexité des enjeux géopolitiques. Des solutions
rapides à ces conflits sont tout simplement illusoires.
Enfin, rappelons une fois encore que les
drames répétés de ces dernières heures, au large des fortifications du
continent Européen, ne sont en rien le fruit d’une indéniable fatalité. Ils
constituent les conséquences de choix politiques légiférés et organisés par les
Etats membres. Les discours qui tentent d’imputer les causes de ces tragédies
exclusivement aux passeurs criminels, comme nous l’avons entendu au travers des
allocutions politiques récentes, éludent incontestablement les causes et les
enjeux rendant ces drames possibles.
A défaut de pouvoir obtenir un visa,
solution évincée lors de ce dernier sommet européen, leur permettant
d’introduire en toute légalité une demande d’asile dans l’espace Schengen, les
personnes persécutées se voient contraintes de se tourner vers l’offre
criminelle de passeurs peu soucieux de leur sort. Si dans ce même plan
d’urgence est ébauchée la question de la réinstallation de quelques milliers de
réfugiés en Europe ainsi qu’un soutien aux pays-frontières, ces mesures sont
énoncées en parallèle de la facilitation des renvois forcés des migrants dits
illégaux, coordonnés une fois encore par Frontex.
Ces politiques de
"barriérisation" des frontières ne peuvent avoir comme conséquence
que le renforcement des mécanismes informels qui se jouent des Etats et des
individus vulnérables. Les blocages aux lignes frontalières engendrent du
danger (pour les migrants plus fragiles) et la prolifération de pratiques
informelles et criminelles.
De fait, les situations de violences,
les déséquilibres du commerce international et l’accroissement des inégalités,
les menaces environnementales, l’accaparement et l’épuisement des ressources
continueront à alimenter les dynamiques migratoires peu importe les politiques
sécuritaires mises en place.
N’est-il pas devenu urgent, dès lors,
d’aborder les questions migratoires de front, en ce inclus une analyse complexe
des contextes qui président aux migrations ? Ne serait-il pas temps de
reconnaître que l’Europe, en s’entêtant à évincer les vraies résolutions face à
la crise humanitaire en Méditerranée, va une fois encore droit dans le mur, de
reconnaître également la nécessité d’un changement de cap radical comme seule
porte de salut réaliste ?
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