Crise de l’accueil des réfugiés en Europe : il n’y a pas de
nationalisme ouvert
Carte Blanche publiée dans La Libre Belgique du 11-03-16 signée par
Martin Deleixhe (KUL-MLS)
Youri Lou Vertongen (USLB-MLS)
Andrew Crosby (ULB-MLS)
Anas Salih (SPB-MLS)
Matéo Gagliolo (ULB-MLS)
Denis Pieret (PhiloCité-MLS)
Anticipant l’expulsion manu militari de la jungle de Calais par
les autorités françaises, et craignant l’édification à l’identique de ces camps
où s’abritent les espoirs et le dépit des migrants sur sa côte, la Belgique
aura donc finalement succombé à son tour à la fièvre politique qui sévit en
Europe. Comme s’il s’agissait là du seul recours politique à la disposition des
dirigeants, de la solution unique à un problème dont tout le monde s’accorde
pourtant à dire qu’il est complexe, le gouvernement Michel-Jambon a annoncé
avec fracas la fermeture unilatérale de sa frontière avec la France. Invoquant
une « menace grave pour l’ordre
publique et la sécurité intérieure » (dont on peine à discerner le
fondement : quelques tentes à Zeebrugge suffiraient-elles à mettre en
péril la stabilité de l’Etat ?), la Belgique est donc le 7e
pays européen à déroger temporairement au principe de liberté intérieure de
circulation inscrit dans les accords de Schengen.
Epargnons-nous les précautions
oratoires : cette mesure relève du pur spectacle. Sa seule efficacité
réside dans son effet d’annonce. A l’évidence, contrôler à grands renforts
de mise en scène médiatique quelques bus sur les routes nationales mal
goudronnées qui relient le Westhoek à la France n’empêchera pas les migrants de
rejoindre la Belgique, si tant est que cela fasse partie de leurs intentions. Au
mieux cet effet d’annonce en découragera certains d’entre eux d’entreprendre le
déplacement. Au pire, cela incitera d’autres à rechercher d’autres chemins,
plus sinueux, et qui sait, plus risqués, pour tenter une hypothétique traversée
vers le Royaume-Uni, synonyme pour eux d’un avenir meilleur. Mais cette mesure
ne résoudra en rien la question de la déshérence sur les côtes belges et
françaises de migrants, ni, le cas échéant, la création de campements
d’hébergements de fortune. En revanche, cette fermeture donne du crédit aux
manifestations xénophobes anti-migrants auxquelles nous avons assistées à
Calais et ailleurs aux frontières européennes ces dernières semaines. Elle
justifie, presque à elle seule, que l’enjeu migratoire soit aujourd’hui abordé quasi
exclusivement depuis « la peur de l’autre » et la désormais
« nécéssité » de faire barrage aux invasions étrangères. La fermeture
de la frontière belgo-française permet au gouvernement de donner l’impression qu’il fait quelque chose. Déployer la police le
long des dunes, c’est faire montre de volontarisme à défaut de prévoyance. Bernard
Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur français, irrité par le cavalier seul de
la Belgique, n’a d’ailleurs pas résister à la tentation de glisser que :
« Cette décision est pour nous étrange et ses motivations le sont tout
autant. » Comprenez, la décision belge est stupide et ses motivations
absurdes !
Inefficace, la fermeture de la
frontière n’est pas inoffensive pour autant. La mesure trahit une forte
inclinaison nationaliste, que l’on avait pourtant espéré un moment mort et
enterrée en Europe. Le poids du nationalisme se lit au moins à deux niveaux
dans cette décision.
Tout d’abord, l’unilatéralisme
belge dans ce dossier n’est pas la hauteur de son statut de membre fondateur de
l’Union Européenne. La question des réfugiés en Europe (1,25 millions de
demandes d’asile pour la seule année 2015 selon Eurostat) est d’une telle
ampleur qu’elle ne pourra être résolue que collectivement, au moyen d’un accord
contraignant pour tous les Etats-membres. Si le gouvernement Michel-Jambon
était sincère dans ses intentions de contrôle, il lui faudrait a minima soutenir les efforts
diplomatiques d’Angela Merkel (qui aura incarnée successivement le pire et le
meilleur de l’Europe au cours des derniers mois) en vue d’une solution
concertée qui passe par une répartition de l’effort d’accueil plutôt que de
contribuer à miner par son égoïsme toute perspective d’une solution collective.
Au lieu de quoi, Bart De Wever jette le masque sur le plateau de Terzake et cesse (enfin, serait-on tenté
de dire) de prétendre que son nationalisme se fond sans difficulté dans les
ambitions cosmopolitiques de l’UE. Après avoir vitupéré contre le plan allemand
de répartition des migrants, il fait de la Grèce la responsable de l’arrivée
des réfugiés en Europe et travaille ainsi à l’isoler ai sein du concert des
Etats Européens. Que voulez-vous, la N-VA perd du terrain face au Vlaams Belang
dans les sondages… Et c’est la vielle recette du retour au nationalisme -
souveraineté étroitement nationale et xénophobie d’Etat - qui est une nouvelle
fois, et sans surprise, privilégiée.
D’où notre second point, la crise
des réfugiés en Europe (qui est autant une crise de l’idée d’Europe qu’un échec
des institutions européennes) aura eu le triste mérite de rappeler à notre
mémoire un fait historique têtu : il n’existe pas, n’a jamais existé et
n’existera jamais, de nationalisme ouvert.
Car le nationalisme, quand bien même il serait civique, libérale ou républicain
se construit et se pratique d’abord comme une exclusion, comme un rejet de ce
qui n’est pas national. Son geste fondamental, c’est d’inscrire une division
dans l’espace social entre les citoyens nationaux et les étrangers. Et quand
bien même la nation serait, selon la formule de Renan, un « plébiscite de
tous les jours » (une expression d’ailleurs beaucoup plus équivoque dans
son texte d’origine que dans l’usage qui en est couramment fait), autrement dit
quand bien même elle ne reposerait que sur la seule volonté de former une collectivité, l’histoire démontre que cette
nation supposément dépourvue de soubassement culturelle ou ethnique finit
toujours par s’inventer un fondement pré-politique. La nation civique, pour le
dire autrement, est un assemblage politique instable qui ne cesse de retomber,
presque malgré elle, dans le travers du nationalisme ethnique. Faut-il alors
s’étonner que la façade présentable de la N-VA ne se fissure devant la crise européenne
de l’accueil des réfugiés ?
Le projet d’Union Européenne
n’est pas parfait, loin s’en faut (il y aurait notamment beaucoup à dire sur sa
promotion du libre-échange à tout crin), mais il a pour lui le mérite d’avoir
travaillé à déconstruire durablement les nationalismes et leurs réflexes de
fermeture. En contraignant les Etats à partager leur souveraineté, en
brouillant les lignes entre politique étrangère et politique intérieure, en
faisant de la liberté de circulation intérieure la clef d’une sociabilité
transnationale à l’échelle européenne, l’Union Européenne a mis en place
certains garde-fous contre le retour d’une idéologie nationale xénophobe. Il nous
appartient désormais, à nous citoyen-ne-s européen-ne-s, non seulement d’opposer
aux actions xénophobes et
populistes que sont la fermeture des frontières, la déchéance de nationalité,
la confiscation des biens des réfugiés, les expulsions meurtrières des
contre-discours et des contre-conduites à la hauteur de l’offensive
réactionnaire que nous connaissons aujourd’hui mais également de veiller à ce
que la crise de l’accueil des réfugiés ne débouche pas sur l’émergence d’un
nationalisme européen, qui serait une étrange forme de nationalisme
supranational, qui reproduirait aux frontières de l’Union Européenne ce qu’elle
était parvenue à faire disparaître à ses frontières intérieures.
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