L'hospitalité, égalitaire et
politique ?
par Martin Deleixhe
1 Introduction
L'hospitalité
est généralement associée à une vertu personnelle plutôt qu'à une politique
collective. Générosité dans l'accueil d'autrui, partage de la maison ou de la
table, ouverture à la différence ou tolérance, elle prend plus volontiers les
traits d'une débauche altruiste d'amabilité que d'une provision légale ou d'un
projet politique. Cette définition étroitement morale a cependant été battue en
brèche par Kant. Dans son Projet de paix perpétuelle, ce dernier a fait
du droit à l'hospitalité la pierre angulaire de la construction juridique du
cosmopolitisme. Son exposition des moyens de réalisation du cosmopolitisme
démontre non seulement que l'hospitalité peut et même doit être
politique mais elle présente également celle-ci comme la force motrice de la
propagation des normes juridiques en mesure d'assurer une paix républicaine.
Cependant, l'octroi de ce rôle primordial se paie d'une contrepartie. Sitôt que
Kant confronte l'hospitalité aux contingences empiriques de la politique, il
est contraint de dissocier celle-ci de la générosité d'une ouverture
inconditionnelle à autrui. Une politique de l'hospitalité doit nécessairement
prévoir des restrictions, inégalitaires par définition, dans l'application de
son principe. Cette exclusion mutuelle des deux caractéristiques principales de
l'hospitalité délimite l'espace de notre questionnement dans cet article :
l'hospitalité peut-elle échapper à l'alternative qui fait d'elle soit une
politique inégalitaire de l'accueil, soit un principe moral égalitaire mais
apolitique ?
En
s'appuyant sur les travaux de Kant et de Derrida, cet article a pour ambition
d'offrir l’ébauche d'une politique égalitaire de l'hospitalité. Pour ce faire,
il procèdera en trois temps. Après avoir élucidé la première formulation du
complexe qui lie cosmopolitisme et hospitalité chez Kant, il se penchera sur la
critique radicale que lui adresse Derrida. Il proposera enfin de circonscrire
son interrogation autour de la question plus étroite de l'institution étatique
de la frontière afin de recouvrer le potentiel démocratique d'une conception
politique de l'hospitalité.
2 Le droit à l'hospitalité comme paradigme du cosmopolitisme
Le
troisième article définitif du Projet de paix perpétuelle kantien – qui
stipule que « le droit cosmopolitique doit se restreindre aux
conditions de l'hospitalité universelle »[1]
– amorce une profonde rénovation de la pensée cosmopolitique. Certes, il n'est
pas le premier à lier la question de la pacification des relations
internationales à celle de l'accueil des étrangers – l'universalisme de la
charité chrétienne, pour ne citer que lui, ayant déjà creusé ce sillon – mais
il se singularise par le poids incomparable des responsabilités qu'il attribue
à l'hospitalité. Suivant la systématique juridique organisée sur trois niveaux
que Kant développe dans son Projet de paix, c'est en effet à
l'hospitalité – principe actif du niveau de droit le plus immédiatement
universel, à savoir le droit cosmopolitique – qu'échoit désormais la lourde
tâche de combler l'imperfection d'un droit des gens cruellement dépourvu
d'autorité de surplomb et donc incapable d'assurer seul la publicité et, par
voie de conséquence, la positivité de ses normes pacificatrices[2].
Puisque
Kant rejette la thèse selon laquelle le salut cosmopolitique pourrait venir de
l'instauration d'un État mondial (ce qu'il juge être une dangereuse solution de
facilité en raison de sa propension à basculer dans un despotisme d'autant plus
irréversible qu'il serait impossible à fuir[3]),
il doit également rompre avec la symbolique de l'ordonnancement du monde sous
l'autorité d'une figure tutélaire. Il lui faut abandonner la reconduction de la
logique contractualiste du jusnaturalisme au niveau des États et renoncer à une
structure institutionnelle pyramidale où un État universel se tiendrait
au-dessus des États particuliers de la même façon que ceux-ci surplombent leurs
citoyens. En ce sens, sa conception originale du droit cosmopolitique voit
désormais dans l'humanité l'espace d'un échange, le lieu indéterminable de la
réalisation d'une coexistence politique plutôt que la projection fantasmatique
d'une communauté totalisante[4].
Cette rupture avec l'espoir d'une unification du monde sous une autorité unique
charrie avec elle deux implications. D'une part, le droit international doit
fonder une autorité capable de sanctionner ceux qui contreviendraient à ses
provisions sans pour autant reproduire la structure de l'Etat à une échelle
nouvelle, ce qui requiert qu'il fasse preuve d'une certaine créativité
institutionnelle. D'autre part, le projet cosmopolitique ne peut désormais plus
se restreindre à la juridicisation pacificatrice des relations
interpersonnelles (au sein de la République) et des relations interétatiques
(au sein d'une Société des Nations aux contours institutionnels imprécis). En
raison du pluralisme irréductible du monde politique, il lui incombe également
de fournir un cadre juridique aux relations qui résultent de la migration et
qui mettent en rapport des individus étrangers avec leur État d'accueil.
L'ingéniosité
de Kant tient à la façon dont il surmonte la première difficulté au moyen de la
seconde. Loin de ne faire de cette relation d'hospitalité qu'un cas marginal
des relations juridiques, il va l'élever au rang de relation paradigmatique de
son cosmopolitisme. Il fait du droit subjectif à l'hospitalité, entendu au
minimum comme un droit de visite en territoire étranger et de libre
participation aux activités de la société civile[5],
le noyau normatif du droit cosmopolitique et, partant, du cosmopolitisme
juridique dans son ensemble. Ce statut prépondérant du droit à l'hospitalité
découle du fait que ce dernier a pour mérite de court-circuiter l'étatisme qui
prévaut dans les relations internationales par la mise en contact immédiate de
citoyens issus de différentes communautés politiques. Autrement dit, si
l'hospitalité joue un rôle primordial dans le projet cosmopolitique, c'est parce qu'elle permet que se communiquent
capillairement les normes juridiques préalables à la pacification des relations
internationales selon un mouvement ascendant et polycentrique qui part des
communautés politiques locales pour remonter vers la Société des Nations. En
rendant possible l'intensification des interactions entre sociétés étrangères
par l'intermédiaire de ses migrants selon une logique transnationale qui
échappe à la souveraineté étatique, le droit à l'hospitalité permet au projet
cosmopolitique d'échapper au schème autoritaire de sa construction verticale
selon un plan pyramidal et lui substitue le schème démocratique de la
dispersion horizontale de ses normes. La libéralisation partielle de la
migration, corollaire de la généralisation de la pratique étatique de
l'hospitalité, est l'instrument privilégié de cette progression. Elle aménage
une répartition distributive de la communication politique, créant l'embryon
d'un demoi, soit d'un demos constitué d'une pluralité de demos[6].
Le droit cosmopolitique est en ce sens la condition de sa propre réalisation.
Il rend opératoire la communication nécessaire à la positivisation de son
droit.
Moyennant
l'expression de sérieuses réserves à l'encontre de la foi inébranlable de Kant
en une téléologie historique du progrès qui mènerait immanquablement au
cosmopolitisme, force est de reconnaître que le rôle pivot qu'il attribue au
droit subjectif à l'hospitalité – dont le contenu a priori modeste est pourtant
crucial – pose les bases d'une définition politique de l'hospitalité. Sous sa
plume, l'hospitalité acquiert une dimension collective dans la mesure où le
droit subjectif de visite en territoire étranger a pour envers le devoir
d'assouplir le contrôle des frontières. En somme, la politique de l'hospitalité
est une politique de relativisation de la souveraineté de l'État. Ce qui explique
en partie la difficulté à arrêter une définition définitive de ce que
recouvrerait une politique de l'hospitalité. Car lorsque l'accueil d'autrui
devient un projet collectif, sa conséquence paradoxale est de rendre trouble
les démarcations de la collectivité. En ce sens, l'hospitalité est un projet
politique qui brouille les limites du sujet collectif qui le porte, laissant
craindre qu'elle ne devienne la fossoyeuse de sa propre tombe. Kant, conscient
de cette contradiction, choisit d'y voir une force plutôt qu'une faiblesse.
Certes l'hospitalité force l'ouverture des collectivités jusqu'à troubler leur
identité mais elle ne le fait que pour mieux préserver ces dernières de la
menace de la guerre en les faisant entrer dans des relations égalitaires de
partage de leur souveraineté au sein d'une étrange (con)fédération politique,
tout à la fois polycentrique et acéphale mais néanmoins capable de garantir
durablement la positivité du droit international[7].
3 Conditionnalité et inégalité de l'hospitalité politique
S'il faut
donc faire crédit à Kant d'une articulation de l'hospitalité et du
cosmopolitisme qui impressionne tant par sa cohérence que par son ambition, il
importe également de relever que celle-ci n'est pas dépourvue de contradiction.
Trois objections mettent en évidence le fait qu'une définition proprement politique
de l'hospitalité s'obtient aux dépens de son caractère inconditionnel et, par
voie de conséquence, de sa dimension égalitariste. La première objection sera
formulée depuis l'intérieur même du raisonnement de Kant tandis que les deux
suivantes emprunteront à des réflexions de Derrida.
3.1 Les limites du droit à l'hospitalité
Si la fonction du
droit à l'hospitalité lui confère une place de choix dans l'élaboration du
cosmopolitisme, son contenu est pourtant modeste. Kant prend soin de
préciser que, dans le vocable de l'hospitalité, « il s'agit ici non de
philanthropie, mais de droit »[8]. Par quoi il entend que le droit à
l'hospitalité, précisément parce qu'il est un droit, n'est pas généreux.
Il n'est que le point de rencontre entre ce que des libertés conflictuelles se
reconnaissent comme obligations réciproques[9]. Il en va là de la possibilité de sa
perpétuité. Car, alors que l'altruisme s'épuise dans son unilatéralisme, la
réciprocité raisonnable maintient indéfiniment son équilibre. Toute la question
dès lors est de savoir précisément où la raison publique situe ce point de
rencontre entre des volontés divergentes, voire opposées. Pour le découvrir, il
faut mettre au jour le contenu possible d'un accord contractuel.
Or, sur ce
dernier point, Kant juge clairement que le droit à l'hospitalité fera l'objet
d'un accord contractuel d'autant plus stable entre États et migrants (et sera
donc d'autant plus effectif) que son contenu sera minimal. Par conséquent, il
insiste sur un partage clair à opérer au sein du droit à l'hospitalité entre le
droit de visite et le privilège de la résidence. Si le droit de visite (qui correspondrait peu ou prou dans le vocable
contemporain au droit de séjour)[10] est à ses yeux un droit individuel inaliénable qui s'impose à la
souveraineté étatique comme une méta-norme contraignante, il n'en va pas de
même pour la résidence. N'étant pas coulée dans le moule d'un droit subjectif,
l'« installation » de l'étranger reste suspendue à un consentement
étatique souverain. Elle peut être quémandée comme une faveur auprès de l'État
mais aucune obligation ne contraint ce dernier à accéder à la demande de
l'étranger. Cette discontinuité entre visite et installation met radicalement à
distance le droit à l'hospitalité de l'accueil inconditionnel.
L'hospitalité ne
devient donc une politique chez Kant que sous la prémisse de la reconnaissance
d'un droit étatique à l'exclusion (bien que la portée de ce dernier se limite à
la question de l'installation). Ce qui contredit au moins partiellement notre
premier jugement selon lequel la politique kantienne de l'hospitalité
consisterait en une relativisation de la souveraineté étatique. Alors que le
droit de visite semble bel et bien restreindre les prérogatives souveraines de
l'Etat et préparer le terrain d'une construction cosmopolitique plus large en
rendant la communication transnationale possible, le caractère conditionnel de
la résidence nous ramène brusquement sous l'autorité de la souveraineté
étatique. On serait en droit de voir dans cette inconsistance une contradiction
qui mine depuis l'intérieur la définition que Kant donne de la politique de
l'hospitalité. Ainsi qu'on va le découvrir avec Derrida, cette première
objection s'articule à deux autres réserves qui ensemble forment une critique
systématique du caractère conditionnel et limité de la politique kantienne de
l'hospitalité.
3.2 Contrat social et hospitalité subordonnée
Dans
le courant des années '90, Derrida s'est pris d'intérêt, tant dans son activité
de recherche que dans son implication militante[11],
pour la thématique de l'hospitalité qu'il n'a cessé de lier à une relecture
étroite de textes de Kant.[12]
Pour le philosophe de la rue d'Ulm, l'approche kantienne de l'hospitalité est
riche de potentialités théoriques mais ultimement minée par une tension
théorique qui devient manifeste lorsque l'on contraste son Projet de paix
perpétuelle avec une autre de ses interventions dans le débat public, aussi
courte que polémique, D'un prétendu droit de mentir par humanité. Dans
ce texte, Kant résiste avec acharnement à l'introduction d'une quelconque
considération empirique ou pragmatique dans la détermination pratique de
l'action et défend le principe selon lequel seul le mobile qui préside à
l'exécution d'une action mérite d'être jugé moralement et non ses répercussions
escomptées. Selon l'exemple retenu et depuis lors passé à la postérité, même si
un assassin devait se présenter sur le pas de ma porte pour réclamer que je lui
livre une personne qui s'abrite chez moi, je ne serais pas en droit de lui
mentir. Le respect inconditionnel de la véracité me commanderait de ne rien
cacher de la présence de mon hôte. Car, autoriser le mensonge sur base de
considérations pragmatiques et contextuelles ruinerait l'assise de la moralité.
Le recours au mensonge, en suscitant le doute sur la fiabilité de la parole
d'autrui, mettrait alors par extension en péril rien de moins que le contrat
social. Pour cette raison, l'impératif moral ne tolère aucun accommodement
prudentiel[13].
Or,
l'exemple choisi par Kant n'est pas anodin. Alors même qu'il est engagé dans
une discussion du rapport entre véracité et moralité, c'est bel et bien la
supplique de l'hospitalité qui rejaillit. Le fond de la question porte autant
sur la rigueur du devoir moral que sur la question de savoir si le devoir
d'hospitalité peut voire doit supplanter celui-ci[14].
Derrida observe que la défense d'une morale déontologique ne mène pas
simplement à une subordination de l'hospitalité à la véracité. Ses conséquences
sont bien plus drastiques. L'interdiction du recours au mensonge, fut-ce par
humanité, prive l'individu de l'intimité de son chez-soi. Plus aucun stratagème
ne permet de soustraire le for intérieur à l'inspection publique, de garder
quelque chose pour soi[15].
Puisque finalement plus rien ne le distingue de l'espace public, c'est l'espace
privé en tant que tel qui disparaît. Or, sans lieu intérieur, sans un foyer
dans lequel accueillir l'étranger, la possibilité de l'accueil disparaît[16].
Selon Derrida, ce n'est pas la moindre des ironies que de constater que
l'auteur du Projet de paix perpétuelle est également celui qui en vient
à abolir la possibilité de l'hospitalité. La chaîne d'équivalence qui fait de
la véracité l'assise de la moralité et à sa suite le fondement du contrat
social relègue l'hospitalité dans une position irrémédiablement seconde. Ce qui
corrobore l'idée, déjà développée dans la première objection, qu'une politique
de l'hospitalité ne se confondra jamais avec un accueil inconditionnel.
3.3 L'asymétrie du geste de l'hospitalité
Le caractère
subordonné et donc contingent de l'hospitalité se redouble aux yeux de Derrida
d'un dernier défaut : sa propension à l'inégalité. Fidèle à son style
philosophique, ce dernier illustre son propos au moyen d'un détour littéraire
qui jouit d'une grande force d'évocation mais qui laisse planer un certain flou
sur l'articulation analytique des deux éléments de sa critique. Pour ce faire,
il se réfère à un petit conte cruel de Pierre Klossowski, intitulé Roberte
ce soir[17]. Dans ce bref roman, le
narrateur décrit l'étrange manège qu'entretiennent dans leur auberge son oncle
Octave, sa tante Roberte et des étrangers de passage. Le maître des céans,
l'oncle, a rédigé une sommaire Constitution familiale, nommée « Les
Lois de l'hospitalité », qu'il a encadrée et disposée en évidence dans
la maison. Celle-ci proclame que l'hôte des lieux n'a pas de désirs plus
ardents que d'accueillir l'inconnu de passage et lui témoigner une générosité
extravagante. Fidèle à cette déclaration de principes, l'oncle Octave ne se
contente pas de partager son toit et sa table avec le premier venu, mais il lui
offre également de partager la couche de sa femme. Devant cet excès
d'amabilité, les rôles prédéfinis tanguent et se troublent jusqu'à menacer de
s'inverser[18]. En lui
ouvrant au-delà de toute convention les portes de sa maison, est-ce Octave qui
accueille l'étranger ? Ou est-ce ce dernier qui, en comblant le désir
d'Octave, en fait un invité dans sa propre maison ? Dans sa prose inimitable, Derrida commente
les implications possibles d'un tel imbroglio : « Et l'hôte,
l'otage invité (guest), devient l'invitant de l'invitant, le maître de
l'hôte (host). L'hôte devient l'hôte de l'hôte. L'hôte (guest)
devient l'hôte (host) de l'hôte (host) [19]. »
En
somme, ce que l'excentrique accueil de l'oncle Octave met en lumière, c'est que
l'hospitalité souffre d'une structure inégalitaire. Pour qu'elle puisse avoir
lieu, il faut d'abord qu'un étranger se présente sur le seuil, qu'il soit à la
lisière du chez-moi et qu'il manifeste l'envie d'y pénétrer. La relation
d'hospitalité est donc d'emblée déterminée par sa configuration. L'accueillant
est installé dans le confort de son pouvoir souverain sur sa demeure tandis que
l'étranger est à la merci d'un refus qui l'exposerait à la précarité du dehors.
Le seuil de la maison n'est pas une simple ligne de démarcation entre invitant
et invité, c'est une marche à franchir, un différentiel de niveau qui distribue
asymétriquement les rôles[20].
La pratique de l'hospitalité, si elle abolit bien le seuil en faisant pénétrer
l'étranger à l'intérieur, n'en nivelle pas pour autant l'inégalité. Car c'est
toujours dans une débauche de générosité, voire de magnanimité, que
l'accueillant ouvre sa porte à l'étranger[21].
La dissymétrie des positions, loin de s'effacer, en ressort au contraire
confortée. L'hospitalité perverse de l'oncle Octave déplace plus qu'elle ne
renverse cette perspective. L'invité dont il fait aussitôt le maître des lieux
se soumet toujours à son désir puisque les fameuses « Lois de
l'hospitalité » encadrées sous verre dans l’auberge commandent qu'il
agisse de la sorte. Mais en troublant ainsi la répartition des rôles, on efface
dans un même geste l'inégalité. Ce jeu littéraire de Klossowski sur
l'ambivalence de l'hospitalité peut ne sembler être rien de plus que cela, un jeu
de déconstruction des concepts. Mais le réduire à une ludique acrobatie
conceptuelle reviendrait à masquer les lourds enjeux qu'il recèle. Car sous le
commentaire littéraire, on perçoit que la critique derridéenne de l'hospitalité
fait analytiquement système. Sa cheville ouvrière est la dénonciation d'une
compromission de l’hospitalité avec la contingence du monde. Pour Derrida,
l'hospitalité ne peut remplir son office que si elle est un principe pur,
détaché de tout ce qui peut le conditionner. L'hospitalité ne peut donc ni
trouver à se subordonner au contrat social, ni se concevoir autrement que comme
un accueil hyperbolique qui inverse et brouille les pôles de l'accueillant et
du visiteur. Dès lors, tant que l'hospitalité sera une politique contingente
placée sous l'autorité souveraine de l'Etat, elle ne pourra jamais avoir cette
dimension transcendantale qui en ferait l'instrument d'une correction des
inégalités.
4 La Loi de l'hospitalité et les lois de l'hospitalité
Si
Derrida s'en tenait à cette conclusion intermédiaire, il ne nous serait pas
d'un grand secours pour la définition d'une politique égalitaire de
l'hospitalité. Tout au plus devrait-on en déduire qu'une politique étatique et
égalitaire de l'accueil est impossible. Derrida ne conclut pourtant pas aussi
brusquement en ce sens. Nuançant sa première critique, il avance qu'il faudrait
plutôt dire de la conditionnalité de l'hospitalité politique qu'elle est incompréhensible
si elle ne porte inscrite en contrepoint le principe d'une hospitalité pure,
d'une hospitalité qui se situe au-delà de toute contingence empirique et dont
le commandement est impératif. Autrement dit, l'irruption de la positivité
juridique incarnée par l'État dans la relation d’hospitalité scinde
irrémédiablement cette dernière en deux régimes de loi hétérogènes. Il y a
désormais, d'un côté, la Loi unique et inconditionnelle d'une
l'hospitalité aussi pure qu'elle est hyperbolique et, de l'autre, les lois
de l’hospitalité conditionnées par les politiques étatiques[22].
Derrida
pense trouver la formulation théorique la plus aboutie de cette hospitalité
emphatique dans l’œuvre d'un de ses proches amis. Commentant les travaux
d'Emmanuel Levinas peu de temps après son décès, il écrit : « L'a-t-on
déjà remarqué ? Bien que le mot n'y soit ni fréquent, ni souligné, Totalité
et infini nous lègue un immense traité de l'hospitalité. »[23]
Son originalité consisterait en un « renversement : Levinas
propose de penser l'ouverture en général à partir de l'hospitalité ou de
l'accueil – et non l'inverse. »[24]
Son éthique, dont on ne mesure l'importance qu'en gardant à l'esprit qu'il la
considère comme une « philosophie première » plus originaire
encore que l'ontologie[25],
s'organise toute entière autour de la thématique de l'accueil de l'altérité.
Selon lui, le geste éthique initial, si fondamental qu'il précède toute
intentionnalité et s'exprime par une responsabilité qui n'accède pas encore à
la conscience, s'illustre dans l'hospitalité inconditionnelle. L'éthique
requiert l'abandon de soi dans une ouverture totale à l'altérité.
L'éthique
ainsi redéfinie trouve à se loger sous l'autorité d'une loi implacable de
l'hospitalité. Mieux, l'éthique est coextensive à l'hospitalité[26].
On est alors en droit de s'interroger sur l'origine d'une exigence aussi
intransigeante. D'où nous vient cette obligation incontournable d'accueillir le
visiteur ? La dimension théologique de cet accueil inconditionnel ne peut
être ignorée. Levinas le reconnaît explicitement dans la conclusion de Totalité
et infini : « Dans l'accueil d'autrui, j'accueille le
Très-Haut auquel ma liberté se subordonne. »[27]
À bien des égards, l'éthique lévinassienne n'est qu'une reformulation de la
tradition de la visite divine dont on trouve déjà de nombreux exemples dans la
mythologie grecque lorsque les dieux s'invitent à l'improviste dans le monde
des mortels pour mettre à l'épreuve leur sens de l’accueil[28].
Cette tradition s'est poursuivie dans chacun des monothéismes en la personne
des prophètes, ces émissaires divins rendus étrangers à leurs contemporains par
leur proximité avec le sacré. Enfin, ce récit atteint sans conteste son
paroxysme dans la figure christique : non plus émissaire ou représentant,
mais Dieu fait homme de chair et de sang, venu éprouver à ses dépens
l'hospitalité des hommes[29].
Paul
Ricœur abonde dans le sens de Levinas et voit également dans l'hospitalité un
héritage biblique. Mais il tente de fournir une justification de cette pratique
aux connotations plus immanentes[30].
Il inaugure son raisonnement par la citation du Lévitique 19, 34 :
« L'étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote, et
tu l'aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. »
L'injonction à observer une hospitalité d'une extrême exigence n'émane pas,
selon lui, d'une réminiscence du sacré dans l'humanité de chaque homme, comme
si la visite des dieux se renouvelait dans chaque rencontre, mais tient plutôt
à la puissance du souvenir. Le rappel de la condition étrangère du peuple juif
en terre égyptienne universalise l'extranéité. La trace de cet épisode
douloureux a pour fonctions de désamorcer les craintes à l'égard de l'étranger
ainsi que de témoigner de l'instabilité de l'identité et du statut. Tout comme
le visiteur contemporain, le peuple de l'Ancien Testament a connu massivement
la condition d'étranger. Ayant été autres parmi les autres, les anciens
étrangers doivent aujourd'hui faire l'effort de fonder leur hospitalité sur le
souvenir (fictif ou réel) de leur exil. Si la justification théologique de
l'hospitalité est dès lors plus latérale qu'horizontale, si elle émane du
souvenir d'une condition partagée plus que de la transcendance à l’œuvre dans
la singularité d'autrui, elle se conclut cependant toujours sur la même
prescription exorbitante.
En
dépit des efforts de Ricœur, cet héritage théologique confirme donc que
l'hospitalité hyperbolique n'est pas de ce monde. La démesure d'un accueil
dépourvu de toutes conditions correspond à l'expérience-limite de l'ouverture à
la transcendance, de la découverte du sacré dans l'humanité de l'autre homme.
Or, il apparaît assez clairement que l'éthique qu'elle décrit se situe à un
niveau infra- ou supra-politique, selon le point de vue. La
découverte de la transcendance dans le visage d'Autrui prend place dans le huis
clos d'un face-à-face[31].
Chez Levinas, l'éthique confronte Ego à Autrui dans le vertige d'une exigence
impondérable, tandis que la question de la justice ne se pose que lorsque
surgit le Tiers. L'éthique exclut tout calcul, toute mesure et commande coûte
que coûte de donner lieu à autrui[32].
En revanche, lorsque se multiplient les responsabilités et les exigences dans
la foulée de l'apparition d'une tierce personne étrangère au face-à-face,
surgit corollairement la question de la distribution et de la hiérarchisation
des obligations. La réintroduction d'une question quantitative, d'un calcul et
d'une mesure de la part qui revient à chacun interrompt la logique
inconditionnelle de l'hospitalité.
Toutefois,
les deux régimes juridiques de l'hospitalité ne peuvent être disjoints
abruptement. Car, à y regarder de plus près, leurs protocoles sont aussi
complémentaires qu'ils sont contradictoires[33].
D'une part, la Loi impérieuse de l'hospitalité est effectivement vidée de son
contenu lorsqu'elle est confrontée aux lois étatiques de l'accueil. En imposant
des limites, en restreignant l'accès, en opposant des obstacles à la venue, les
frontières qui déterminent les modalités de l'accueil étatique sapent
irrémédiablement le principe de l'hospitalité inconditionnelle. Il serait donc
tentant d'en faire l'illustration par excellence de la vacuité d'une loi si
exigeante qu'elle en devient inapplicable. Mais ce serait perdre de vue que la
Loi inconditionnelle de l'hospitalité requiert des lois de l'hospitalité
pour s'actualiser. Même si cela doit être sous le mode de la transgression de
son principe intrinsèque, voire de la trahison de son motif, la Loi ne
peut se matérialiser qu'à travers des lois positives. S'il y a donc une collision
entre deux lois, et donc antinomie au sens technique du terme, il y a également
dans une certaine mesure collusion. Les lois positives transgressent
autant qu'elles épaulent la Loi éthique – excessive et impossible, mais nécessaire
– qui les surplombe. Les deux régimes de loi sont donc aussi inséparables
qu'ils sont aporétiques. Derrida qualifie alors l'hospitalité d'« antinomie
non dialectisable »[34].
Non dialectisable car impossible à relever, impossible à convertir en
une unité supérieure à partir du travail du négatif en son sein, autre façon de
dire qu'on ne sortira pas du dilemme de l'hospitalité, mais que c'est de
l'intérieur de sa tension qu'il faudra le travailler[35].
5 Une politique institutionnelle de l'hospitalité
Derrida
offre donc une défense qualifiée de l'hospitalité conditionnelle mais n'en
laisse pas moins le concept dans une situation théorique instable, voire
précaire. En effet, on perçoit mal comment faire reposer une pratique politique
durable de l'hospitalité sur le mouvement d'une dialectique, à plus forte
raison quand celle-ci est dépourvue de tout espoir de relève. Que faire d’une
Loi qui ne peut paradoxalement se réaliser que dans la transgression des lois
qui l’actualisent ? Cette objection n'est pas insurmontable mais elle
appelle un correctif majeur à l'approche derridéenne de l'hospitalité. Pour
penser politiquement l'hospitalité, il est indispensable de nouer la destinée
de cette vertu avec l'institution qui la détermine au niveau étatique, à savoir
la frontière.
Comment
pourrait se présenter une politique de l'hospitalité tout à la fois mondaine,
égalitaire et institutionnelle ? Ainsi qu'on l'a vu, le rôle
cosmopolitique attribué par Kant à la politique de l'hospitalité a une
importante répercussion au niveau institutionnel : il relativise la
souveraineté étatique. Car la reconnaissance d'un droit de visite contraint
l'Etat à relâcher partiellement son emprise sur l'un des marqueurs les plus
importants de sa souveraineté, à savoir le contrôle de ses frontières. Kant
semble cependant s'effrayer de sa propre audace et ne pousse pas sa logique
jusqu'à son point de rupture. Il concède volontiers que le droit individuel de
la visite s'arrête là où commence la décision étatique d'accorder à titre de
privilège un droit de résidence à certains étrangers. La souveraineté étatique
ne cesse donc de délimiter les pourtours de la citoyenneté. Bien qu'il ne le
fasse pas dans une référence explicite à Kant[36],
Étienne Balibar a cherché à démontrer qu'une pratique politique de
l'hospitalité devrait précisément se construire sur le mouvement inverse, celui
de la déconstruction des limites de la souveraineté par la pratique de la
citoyenneté.
Selon
Balibar, la frontière est, à l'image de l'hospitalité, inégalitaire en soi. Car,
en tant qu'institution, elle est parvenue à forcer une interprétation tronquée
de la citoyenneté qui mène à une corruption de sa signification.
Schématiquement, la citoyenneté se réfère en effet à deux situations distinctes
bien qu'intrinsèquement liées. D'une part, la citoyenneté peut être un statut
juridique. Elle définit alors la situation de celui qui a pleinement
« droit de cité », autrement dit de celui qui est formellement
autorisé à prendre part à la vie politique de la communauté[37].
D'autre part, la citoyenneté est une activité politique. Elle est la production
par le biais de l'engagement individuel d'un « commun », c'est-à-dire
d'un espace public de la discussion égalitaire. Balibar s'inspire en cela du
fameux « droit à avoir des droits », conçu originairement par
Arendt[38].
Selon cette dernière, les années '30 nous ont enseigné que les droits
fondamentaux, les droits de l'homme, avaient eux-mêmes besoin d'être protégés
et que cette protection ne pouvait venir que de la communauté créée par une pratique
des droits du citoyen vécue comme un engagement politique[39].
En ce sens, la citoyenneté n'appartient en droit à personne puisqu'elle n'est
que le fruit d'une volonté et d'une participation créatrice. Dans cette
perspective, le « droit de cité » est saisi par les acteurs
politiques plutôt que distribué par une entité politique surplombante.
Ces
deux déclinaisons de la citoyenneté mènent à différentes conséquences. D'une
part, un statut est toujours la marque d'une distinction et la citoyenneté
n'échappe pas à cette règle. Elle prend effectivement une partie de son sens
dans la division hiérarchique qu'elle opère[40].
Comme l'exprime Balibar : « [...] ceci ne ferait que mieux ressortir la
permanence d'une règle de fermeture ou d'autarcie associée à la
citoyenneté. Par définition, il n'y a de citoyenneté que là où il y a cité,
c'est-à-dire où les ''concitoyens'' et les ''étrangers'' sont clairement
distingués en termes de droits et d'obligations sur un territoire donné. »[41]
Le hiatus c'est que cette citoyenneté qui se veut close et hermétique est
dépourvue de critères légitimant son autarcie en des termes compatibles avec la
grammaire des droits fondamentaux. Pour combler cette absence, la citoyenneté
s'est historiquement attachée à une autre position statutaire : la nationalité[42].
Mais comme ce statut hiérarchise les individus en fonction de leur familiarité
avec la culture nationale, il se révèle être intrinsèquement inégalitaire,
raison pour laquelle Balibar refuse d'en faire le principe organisateur de la communauté
démocratique.
Heureusement,
nous dit le philosophe français, il est possible de bâtir une citoyenneté
alternative et ouverte sur base de sa définition en tant qu'activité. Cette
redéfinition de la citoyenneté ne s'encombre pas de questions identitaires car
elle postule qu'elle n'est rien d'autre que la « capacité
collective de ''constituer l'État'' ou l'espace public. En d'autres termes,
elle exprime un lien social dans lequel les droits et libertés reconnus aux
individus, et les obligations qui en sont la contrepartie, si limités
soient-ils, n'émanent pas d'un pouvoir transcendant, mais uniquement de la
''convention'' des citoyens [...]. D'où le lien entre l'idée de
citoyenneté et celle d'égalité. »[43] Néanmoins, Balibar concède qu'il est inévitable
que la citoyenneté comme statut soit réintroduite à terme dans cette équation.
Car une fois l'espace public collectivement instauré, l'inégalité resurgit
entre citoyens et étrangers, gouvernants et gouvernés, capitalistes et
travailleurs, etc.[44]
Mais la citoyenneté ne peut faire abstraction de cette référence à la création
collective et égalitaire de l'espace public, car c'est depuis celle-ci que la
citoyenneté comme activité redessine perpétuellement les contours de la
citoyenneté comme statut[45].
Ramenée
à la question de l'hospitalité, cette dernière définition de la citoyenneté
comme productrice de statuts laisse entrevoir la possibilité d'une citoyenneté
des étrangers qui contribue à « démocratiser l'institution de la
frontière »[46],
c'est-à-dire à relativiser son action en la soumettant au contrôle de
contre-pouvoirs issus d'un peuple qui ne se limite pas aux seuls citoyens. Car
la citoyenneté n'est plus seulement créée d'en haut par un État qui dispense le
privilège de sa protection à ses membres mais elle est également construite
d'en bas par l'engagement politique individuel au quotidien. Dans ce contexte,
rien ne s'oppose à ce que des étrangers militent pour une redéfinition des
droits fondamentaux adossée à une critique de la distribution des statuts
opérée par l'État. En termes conceptuels, cela nous mène à la situation,
salutaire selon Balibar, où les « sans-parts »[47],
les exclus, les déchus de l'intégration se réapproprient la citoyenneté comme
activité pour mieux déconstruire la citoyenneté comme statut. Balibar y voit
l'espoir d'un remaniement de l'institution historique qui la pousserait à plus
de perméabilité, mais également l'opportunité d'un renouveau de la démocratie
qui s'enracinerait dans la souveraineté d'un peuple à la composition originale
car potentiellement transnationale[48].
En
ce sens, une politique de l'hospitalité correspondrait à un engagement citoyen
certes local mais dont la visée serait cosmopolitique[49].
Celui-ci se donnerait pour objectif la contestation de l'arbitraire frontalier.
Contrairement à ce soutient parfois Balibar[50],
cette politique ne s'oppose donc pas au cosmopolitisme kantien mais vient
plutôt en compléter le dispositif. Car si Balibar radicalise le propos de Kant,
il n'en trahit pas pour autant le motif. Son invitation à se ressaisir d'une
citoyenneté « activiste » fait écho à la résidence kantienne qui
préconise l'intégration de l'étranger à la communauté politique par le biais de
sa préoccupation pour le bien public. Cependant, à la différence de ce dernier,
Balibar assume pleinement la part de conflictualité que la politique de
l'hospitalité, influencée par son origine éthique, avait eu tendance à
réprimer. La citoyenneté, lorsqu'elle est envisagée comme une pratique
agonistique et revendicatrice, parvient alors à tenir ensemble ces deux
exigences a priori peu compatibles de l'hospitalité : inscrite de
plain-pied dans la sphère du politique, elle maintient néanmoins un lien
consubstantiel avec l'égalité.
[1] Kant, Immanuel, 1991, « Vers la paix
perpétuelle », dans Vers la paix perpétuelle - Que signifie s'orienter
dans la pensée ? - Qu'est-ce que les Lumières ?, Paris, Flammarion, p. 93.
[2] Notre lecture
du droit cosmopolitique kantien s'appuie dans une large mesure sur Stéphane
Chauvier, 1996, Du droit d'être étranger. Essai sur le concept kantien d'un
droit cosmopolitique, Paris, L'Harmattan, et sur Cheneval, Francis, 2005, La
Cité des peuples. Mémoires de cosmopolitismes, Paris, Cerf.
[3] Kant, Immanuel, « Vers la paix
perpétuelle », loc. cit., p. 106.
[4] Lefort, Claude, 1992, « L'idée
d'humanité et le projet de paix universelle » dans Écrire. A
l'épreuve du politique, Paris, Calmann-Levy, p. 243.
[5] Ou, de façon
plus polémique, comme un droit d'accès à la citoyenneté ainsi je l'ai défendu
dans : Deleixhe, Martin, 2014, « Une
réévaluation du droit cosmopolitique kantien. De la discontinuité entre le
droit de visite et le droit de résidence », Revue Française de Sciences Politiques, vol. 64, n°1, pp. 79-93.
[6]
Cette intuition kantienne a été
développée avec une grande rigueur analytique dans Bohman, James, 2007, Democracy
across Borders. From Dêmos to Dêmoi, Cambridge, MIT Press, pp. 59-99
[7] Ferry,
Jean-Marc, 2005, Europe la voie kantienne. Essai sur l'identité
postnationale, Paris, Cerf, pp. 151-6.
[9] Ce qui explique notamment
qu'il fasse de l'asile un cas à part. Car l'asile ne confronte pas deux
libertés (celle de l'Etat et celle du migrant) mais une liberté et une
nécessité (la liberté de l'Etat contrastant avec un individu contraint de
migrer.)
[10]
Chauvier, Stéphane, Du droit d'être étranger. Essai sur
le concept kantien d'un droit cosmopolitique, op. cit., p. 43.
[11] Ramond,
Charles, 2007, « Présentation. Politique et déconstruction », Cités,
numéro spécial « Derrida politique », n° 30, pp. 11-6.
[12] Voir, pour la
seule année 1997 : Derrida, Jacques, 1997, Le droit à la philosophie du
point de vue cosmopolitique, Paris, UNESCO/Verdier ou Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, 1997, De
l'hospitalité, Paris, Calmann-Levy et
Derrida, Jacques, 1997, Cosmopolites de tous les pays, encore un
effort !, Paris, Galilée.
[13] « Il y a
donc un commandement sacré de la raison, qui commande inconditionnellement et
qu'aucune convenance ne doit restreindre : être véridique (honnête)
dans toutes ses déclarations. », cf. Kant, Immanuel, 1994, Théorie
et pratique - D'un prétendu droit de mentir par humanité - La fin de toutes
choses, trad. et introduction par Proust, Françoise, Paris, Flammarion, p . 100.
[14] Derrida,
Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l'hospitalité, op. cit.,
p. 63.
[15] Raison pour
laquelle Derrida s'inquiète dans ce même texte d'un phénomène a priori fort
distant du centre de gravité de ses préoccupations, à savoir l'intrusion de
l'État dans la régulation des télécommunications. Il rapproche ces
observations, car elles lui semblent répondre à une logique similaire de
nivellement de l'espace privé et de la sphère publique. Au vu des révélations
d'Edward Snowden sur l'ampleur de l'espionnage par la NSA des télécommunications
de ses propres citoyen, cette remarque prend une tonalité quasi-prophétique :
cf. Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l'hospitalité, op.
cit., p. 45-51.
[17] Klossowski,
Pierre, 1954, Les lois de l'hospitalité, Paris, Gallimard, pp. 105-73.
[18] Voir également
Montandon, Alain, 2004, « Pierre Klossowski. Un rituel érotique »
dans Montandon,
Alain (dir.), Le livre de l'hospitalité. Accueil de l'étranger dans
l'histoire et les cultures, Paris, Bayard,
pp. 1374-8.
[19] Derrida,
Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l'hospitalité, op. cit.,
p. 111.
[20] Cusset, Yves,
2010, Prendre sa part de la misère du monde. Pour une philosophie politique
de l'accueil, Chatou, Les Éditions de la Transparence, pp. 19-21.
[22] Derrida,
Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l'hospitalité, op. cit.,
p. 29.
[23] Derrida,
Jacques, 1997, Adieu – à Emmanuel Levinas, Paris, Galilée, p. 49.
[25] Levinas,
Emmanuel, Éthique comme philosophie première, Paris, Payot & Rivages.
[26] Derrida,
Jacques, 1997, Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !, Paris,
Galilée, p. 42.
[27] Levinas,
Emmanuel, 1990, Totalité et infini. Essai sur l'extériorité, Paris, Le Livre de Poche, p.
335. On pourra également lire le chapitre qu'il consacre aux
ville-refuges dans Levinas, Emmanuel, 1982, L'Au-delà
du verset. Lectures et discours talmudiques, Paris, Les Éditions de Minuit. Derrida reconnaît également sa dette à l'égard du
cosmopolitisme de Saint Paul dans Cosmopolites de tous les pays, encore un
effort !, op.cit., pp. 48-9.
[28] Létoublon,
François, 2004, « Grèce archaïque. Les dieux à la table des hommes »
dans Montandon, Alain (dir.), Le livre de l'hospitalité, op. cit., pp.
468-506.
[29] Pottier-Thoby,
Anne-Cécile, 2004, « Bible. De la trahison à la rédemption » dans Montandon,
Alain (dir.), Le livre de l'hospitalité, op. cit., pp. 118-43.
[30] Ricœur, Paul,
1997, « Étranger, moi-même », conférence donnée lors des Semaines
sociales de France.
[31] Ce que Derrida
conteste dans Adieu – à Emmanuel Levinas, op. cit., p. 111. Pour
lui, « Levinas reconnaît cette ''présence du tiers'' et cette question
de la justice dès le premier instant, si on peut dire, du visage, sur le
seuil du face-à-face. »
[32] Levinas,
Emmanuel, Totalité et infini. Essai sur l'extériorité, op.
cit., p. 185.
[33] Derrida,
Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l'hospitalité, op. cit.,
p. 75.
[35] Sur le travail
infini de l'aporie, voir Balibar, Étienne, 1995, « The
Infinite Contradiction », Yale French Studies, n° 88, pp.
142-64.
[36] A notre
connaissance, Balibar ne glose l’œuvre politique de Kant de façon explicite que
dans « Cosmopolitisme et Internationalisme. Deux modèles, deux
héritages » dans Moufida, Goucha (dir.), 2006, Philosophie politique et
horizon cosmopolitique. La mondialisation et les apories d'une cosmopolitique
de la paix, de la citoyenneté et des actions, Paris, UNESCO, pp. 37-64.
[37] Balibar,
Étienne, 2002, « Une citoyenneté européenne est-elle possible » dans Droit
de cité, Paris, Quadrige/PUF, p. 53.
[38] Balibar, Étienne, 2001, « Violence
et mondialisation : une politique de la civilité est-elle
possible ? » dans Nous, citoyens d'Europe ? Les frontières,
l'État, le peuple, Paris, La Découverte,
p. 183.
[39] Il
existe de très nombreuses (et diverses) interprétations du « droit à avoir
des droits » qui attribuent à Arendt des visées couvrant un large spectre
politique. A titre de comparaison, dans le seul cadre des questions
d'hospitalité, on peut se reporter à Beltran, Cristina, 2009, « Going
Public. Hannah Arendt, Immigrant Action, and the Space of Appearance », Political
Theory, vol.37, n°5, pp. 595-622 ou à Krause, Monika, 2008, « Undocumented
Migrants. An Arendtian Perspective », European Journal of Political
Theory, vol. 7, n°3, pp. 331-348 voire à Benhabib, Seyla, 2004, The
Right of Others. Aliens,
Residents and Citizens, Cambridge, Cambridge University Press.
[40] Balibar,
Étienne, 2002, « Une citoyenneté européenne est-elle
possible ? » dans Droit de cité, op. cit., p. 54.
[42] Balibar,
Étienne, 2001, « Une citoyenneté sans communauté ? » dans Nous,
citoyens d'Europe ? Les frontières, l'État, le peuple, op. cit., pp.
95-7. Balibar critique vertement dans un autre texte l'équation, à ses yeux
foncièrement erronée, qui pose que (citoyenneté = nationalité) =
souveraineté, cf. Balibar, Étienne, 2002, « Une citoyenneté européenne
est-elle possible ? » dans Droit de cité, op. cit., p.
46.
[43] Balibar, Étienne, 2001, « L'Europe des
citoyens » dans Nous, citoyens d'Europe ? Les frontières, l'État, le
peuple, op. cit., pp. 251-2.
[45] Balibar, Étienne, 2005, « Europe, pays de
frontières » dans Europe, Constitution, Frontière, Bègles, Éditions
du Passant, p. 155.
[46]
Projet relativement vague mais occasionnellement formulé dans des termes plus
précis. Il s'agirait de « la mettre au service des hommes et la
soumettre à leur contrôle collectif, en faire un des objets de leur
''souveraineté'', au lieu qu'elle serve essentiellement à les assujettir à des
pouvoirs sur lesquels ils n'ont aucun contrôle[...]. », cf. Balibar,
Étienne, 2001, « Frontières du monde, frontières de la politique »
dans Nous, citoyens d'Europe ? Les frontières, l'État, le peuple, op.
cit., pp. 173-4. Les modalités pratiques de l'exercice de ce contre-pouvoir
restent malheureusement inexplorées dans
la suite de son œuvre.
[47] Balibar, Étienne, 2010, « Ouverture :
L'antinomie de la citoyenneté » dans La proposition de l'égaliberté,
Paris, PUF, p. 16. Balibar emprunte le terme à Jacques Rancière, qui en a fait
la clef de voûte de sa charpente théorique. Selon ce dernier, la politique ne
diffère de la « police » qu'à partir du moment où les
« sans-parts », les exclus de la distribution des postes, professions
et autres statuts, s'élèvent pour réclamer, au nom d'une égalité présupposée,
leur inclusion dans cette répartition. Cf. Rancière, Jacques, 1998, « Dix
thèses sur la politique » dans Aux bords du politique, Paris, Gallimard,
pp. 240-1.
[48] Balibar, Étienne, 2005, « Europe, pays de
frontières » dans Europe, Constitution, Frontière, op. cit.,
pp. 159-60.
[49] Dans un même
ordre d'idées, voir Tassin, Étienne, 2003, Un monde commun. Pour une
cosmo-politique des conflits, Paris, Seuil, pp. 265-91.
[50] Balibar,
Étienne, « Cosmopolitisme et Internationalisme. Deux modèles, deux
héritages », loc. cit., pp. 37-64.